TENDRESSE

 

Ô ma chère compagne,
Mon amie de toujours,
Si je devais au bagne
Y terminer mes jours
Tu viendrais avec moi
Y partager ma peine;
Et, si j'étais un roi,
Tu serais souveraine.
Seule ta fidélité
Se meurt dans la pénombre,
Mais je suis rassuré
Puisque tu es mon ombre.

 

 

L'âge est bien là et je me croyais grand
Mais, soudain, je deviens comme un petit enfant
Car, devant le berceau où notre fille sommeille,
Je me sens impatient à guetter son réveil
Pour faire des risettes, des ahrreux, des coucous,
En agitant les mains. Guilou!... guilou!...
Regarde, c'est papa!... ô mon petit bébé!...
Sur sa fragile main je dépose un baiser
Et, tandis que l'enfant me sourit en silence,
Je lis dans ses grands yeux déjà l'intelligence.
Ah! qu'il me soit donné de retenir le temps
Afin que l'innocence lui soit toujours donnée
Mais, hélas! qui pourrait bien empêcher les ans
De faire pousser les fleurs au soleil printanier ?






J'aimais beaucoup ce jeu charmant
Étant enfant
Que l'on jouait dans le jardin
Près du sapin.

Je la revois dans ma mémoire
La balançoire
Qui soulevait de branche en branche
Ta robe blanche.

Et je l'entends dans mon délire
Vibrer ton rire
Qui s'échappait dans un long flot
Comme un sanglot.

Il s'est éteint ton rire d'argent
Depuis longtemps
La balançoire, elle, est restée
Toute rouillée.


Le temps

J’aimerais que jamais ne finisse ce jour,
Que s’arrête le temps, ce temps si vagabond,
Afin de préserver ce merveilleux amour
Mais j’entends une voix qui du lointain répond :

" Je suis le temps ami, tu le sais bien
" Que nul n’arrêtera ma marche régulière.
" Si, inlassablement, je poursuis mon chemin
" C’est que je n’entends pas, sois-en sûr, ta prière.

" J’ai connu ta naissance et je vivrai ta mort,
" C’est par moi qu’il te faut acquérir la patience
" Puis t’armer de courage en affrontant le sort,
" Tu vivras mieux ainsi ton restant d’existence.

" Et quand tu atteindras ton tout dernier instant,
" Avant que de finir cette route de gloire,
" Dans le délire ultime où le souffle est brûlant
" Pense à moi, moi le temps, qui traverse l’histoire.

 




Les ailes frémissantes, il va de fleur en fleur,
Effleurant les pétales, se posant sur le cour
En goûtant de sa trompe le pollen jauni
S'enivrant du nectar. A nouveau, le voici
Qui s'élève prestement dans le ciel azuré,
D'un souffle de zéphyr il est comme bercé
Mais l'haleine du vent le ramène à la terre.
Il frôle les buissons, s'arrête sur un lierre,
Puis il reprend sa course, éternel vagabond,
Traçant dans les espaces une sorte de bond,
Il se pose, il repart, sans même se soucier
De l'homme qui, tranquille, reste à le regarder.





Si j'ai bien mérité ce châtiment suprême
Reconnaissez, Madame, toutefois, que vous-même
Vous étiez seule en cause à ce tourment profond
Qui agita mon âme en ce fou tourbillon.
Mais oublions cela. Pensons à l'avenir,
A ces heures, ces jours qui nous verront vieillir.
Que serai-je pour vous, Madame, lorsque les ans
L'un à l'autre passés au sablier du temps
Déposeront les rides abîmant le visage,
Et que vos mains osseuses, déformées par leur âge,
S'agripperont encore aux bras du vieux fauteuil
Dans lequel, jadis, où, empreinte d'orgueil,
Vous m'aviez rédigé l'impudente missive
Qui me plaça soudain devant l'alternative.
Je n'avais plus le choix : renier mon amour,
Ce désir était ordre et sans voie de retour.
Ne plus songer à vous, oublier à jamais,
De mon âme effacer tout, même vos portraits;
Il me fallait bannir du profond de mon cour
Notre amour, notre vie, objets de mon bonheur.
Je ne pouvais m'astreindre à vous renier, Madame,
Car agissant ainsi j'aurais vendu mon âme
Puis, tous ces sentiments qui animaient mon être
Ne pouvaient s'effacer par une simple lettre
Même émanant de vous. Qu'auriez-vous donc pensé
Si, suivant votre vous, je m'étais empressé
D'obéir à vos ordres, ainsi, tout bonnement ?
Refuser ce parjure et rester votre amant
Je préférais ce choix plus digne à mon honneur
Qu'un reniement honteux qui m'aurait fait horreur, 
Je devais préserver en moi le souvenir
De ces années vécues et, pour y parvenir,
Gardant jalousement, tel un précieux trésor,
Cette image chérie toute auréolée d'or,
Reflets de ce visage qui me fut, tour à tour,
Emblèmes de la vie, de la joie, de l'amour.
Certains pourront penser qu'il fut un substitut
Qu'importe, en vérité, j'aurais atteint mon but.
Car si votre abandon fut pour moi très cruel
Vous m'avez immolé sur un bien bel autel.
A présent que j'arrive au déclin de ma vie
Je me prends, quelquefois, à dire : "Ma chérie".

 

L'enfant

J'ai tant rêvé aux paysages
Que l'on chantait dans les chansons,
J'ai tant songé aux doux rivages
Où se perdaient les horizons
Que pour un unique voyage
Je donnerais tous mes bonbons.

L'homme

J'ai parcouru un continent
Qui m'est apparu très austère,
J'ai traversé en conquérant
Plein de villes pendant la guerre,
J'ai toujours vu au pire instant
Le doux visage de ma mère.

Le vieillard

J'étais au seuil de la vie,
Je suis à celui du trépas.
Je sens parfois la nostalgie
De cette époque où les lilas
Avaient une odeur d'ambroisie
Et que ma mère ouvrait ses bras.



J'aurais tant souhaité avoir un peu de temps
Pour goûter de la terre les charmes printaniers
Mais je crains fort, hélas, qu'un fâcheux contretemps
M'oblige à fuir ces lieux qui m'étaient familiers.

Mon chagrin ne tient pas en quittant cette terre
De pénétrer au sein de ce monde inconnu,
C'est plutôt à ce fait qui, souvent, nous atterre
En perdant l'être cher près duquel on vécu.

Il me faut toutefois accepter le destin,
Étouffer ces regrets pour mieux nous préparer ;
Et quand viendra l'instant de prendre le chemin
La larme jaillira, mais ne saura couler.


La Douce Visiteuse 

Je possédais, jadis, un véritable ami,
Un être merveilleux que j’aimais comme un frère;
Il était de ces hommes au visage épanoui
Dont le regard profond exhale la lumière.

L’on sentait que la joie débordait de son cœur
Puis, lorsqu’il se laissait aller à nous sourire,
Il nous communiquait un peu de sa chaleur
Et nous partions, alors, d’un grand éclat de rire.

Mais un jour est venue la Douce Visiteuse,
Cette intruse ingénue, toute vêtue de noir,
Qui, lui prenant la main, ingrate cajoleuse,
Lui parla de l’hymen afin de l’émouvoir.

S’enfermant dans le piège que lui tendait la belle
Il lui livra son cœur, et son être à la fois,
Reniant ses amis pour cette jouvencelle,
Cette catin pucelle, à l’esprit si sournois.

Il s’étendit près d’elle, ivre de son bonheur,
Mais, déjà, le sommeil enveloppait son âme;
Nous fûmes impuissants à délivrer son cœur
De ce monstre insouciant, égoïste et infâme.

Je le revois toujours, reposant sur son lit,
Le visage livide et souriant encor,
Comme heureux de partir en ce monde interdit
Afin d’y retrouver sa jeune amie : la Mort.


Jour sans gloire

S’il est un jour sans gloire
Eh bien!... c’est aujourd’hui.
Je fouille ma mémoire,
J’explore mon esprit
Afin d’y découvrir
Ne serait-ce qu’un mot
Qui serve d’élixir,
De support, de pivot
Pour créer une idée,
Une phrase, un poème,
Un chant, une odyssée.
Or, je n’ai pas de thème
Pour commencer l’ouvrage
Et je voudrais, soudain,
N’être que ce nuage
Qui s’enfuit au lointain.
J’aimerais, comme lui,
Découvrir les rivages,
Les villes, mais aussi
Les campagnes sauvages,
Les vallées verdoyantes
Et les forêts profondes,
Les mers écumantes,
Les rivières vagabondes.
Las!...Le nuage au loin
S’estompe lentement
Me laissant, dans mon coin,
Rêveur, et mécontent.

 

Vieillissement

Ferme donc cette porte !...
Elle claque !... et tu sais
Que fort mal je supporte
Tous ces bruits qui m’effraient.
La fenêtre ? Inutile !...
Tire un peu les rideaux !...
En cinglant les brindilles
Les premières gouttes d’eau
Tombent d’un ciel de plomb
Aux couleurs argentées.
Ta cuisine sent bon !...
L’air se fait plus léger !...
Je crois qu’en cet instant
Je me suis fait plus vieux,
Mais... comme c’est plaisant

 

Vision

 

Il approche ce temps où je devrai partir

Au pays bienheureux d’où l’on ne revient pas.

Les larmes cependant ne devront pas rougir

Tes yeux clairs, tes grands yeux si rieurs autrefois.

 

La vie a son destin. Quel que soit notre effort

Rien ne pourra changer cette route tracée.

Je veux que tu sois belle et que tu ries encor,

Que tu cèdes à l’amant qui osera t’aimer.

 

Et pendant ce temps-là, les vers grouilleront

Sur mes chairs putrides exhalant une odeur

Écœurante et infecte que, seuls, ces compagnons

Oseront supporter en me baisant le cœur.

 

Ils suceront mes os, trotteront dans mon crâne

Épargnant par respect mes quelques cheveux blancs,

Car ces bêtes rampantes auront peur de mon âme

Impossible à souiller. Mais, je suis bien vivant

 

Tu profères, déjà, contre moi un reproche

Quand je t’ai juste dit le fond de ma pensée!...

Tais-toi donc un instant!... Écoute cette cloche!...

Mais oui, c’est l’angélus, la nuit va commencer.

 

Donne-moi le panier, reprends ton chevalet,

Nous allons regagner la maison doucement;

J’attendrai sagement que le souper soit prêt,

Assis auprès de l’âtre, tout en te regardant.

 

 

A travers la fenêtre

 

A travers la fenêtre

Apparaît tout un monde

Qui, parfois, me pénètre

D’une humeur vagabonde.

 

A travers la fenêtre

C’est d’abord le ciel bleu,

Ou couleur de salpêtre,

Ou bien un ciel de feu.

 

A travers la fenêtre

J’aperçois un oiseau

Et il me faut admettre

Qu’il s’agit d’un corbeau.

 

A travers la fenêtre

Parait une maison

Dont la porte-fenêtre

Donne sur un balcon.

 

A travers la fenêtre

Dont le bas m’est caché

Par la faute d’un hêtre

Au feuillage taché,

 

A travers la fenêtre

Je n’aperçois plus rien,

Je songe que, peut-être,

S’y cache mon destin.

 

 

Le vieil homme

 

Oh ! Dis-moi vieil homme, pourquoi rester assis

Ainsi que tu le fais, durant de longues heures,

Sur cette large pierre au milieu des débris,

Seraient-ce les restants d’une de tes demeures ?

 

- Étranger, je ne suis qu’une ombre fugitive,

Rien qu’un penseur, sans plus, à l’âme maladive.

 

Oh ! Dis-moi vieil homme, tu parais malheureux,

Ton esprit est chagrin et j’en suis contristé,

Quel peut être ce mal qui te rend ténébreux ?

Si tu le permettais, je pourrais l’apaiser.

 

- Étranger, je ne suis que l’ombre de la Terre,

Si tu veux me sauver, il ne faut plus de guerre.

 

Exil


me suis exilé sur une triste terre

Puisque, en ce pays là, fourmillent les humains ;

J’aurais dû, dans mon vol, être plus terre à terre

Et ne pas m’arrêter sur ces sols incertains.

 

J’ai franchi les espaces, hanté les univers

Sans jamais ralentir au cours de ce chemin,

J’ai choisi cette escale en ce monde pervers

Sans songer qu’il pouvait être sur son déclin.

 

Je pourrais repartir, mais à quoi bon le faire ?

Je m’attache à ces lieux un peu trop cartésiens,

Si je n’y trouve pas ce qu’il faut pour me plaire

Je m’en consolerai d’un grand rire aérien.

 

 

Autre dimension

 

L’homme conçoit bien mal la grandeur des espaces,

Les limites lointaines au fond de l’univers ;

Tout ce qu’il entrevoit sont des pensées fugaces

Éclairant son esprit comme un rêve pervers.

 

Car au bout des nuées existe une frontière,

Croyez-moi, ce n’est pas le fait d’une illusion ;

On me taxe de fou, l’on dit que j’exagère,

Mais elle existe bien cette autre dimension.

 

L’atome, tout petit, est pourtant si étrange

Comparé au système dans lequel nous vivons

Puisque, autour du noyau, semblables à des anges,

Gravitent sans arrêt de curieux électrons.

 

Pourquoi douter alors d’un univers plus vaste

Où tout serait plus grand suivant les proportions

De l’atome au soleil. Il faut être bien chaste

Pour ignorer encor cette autre dimension.

 

 

Lorsque viendra l’instant

 

Lorsque viendra l’instant d’effectuer le pas,

De traverser le pont menant à l’autre rive,

Je partirai joyeux, sans craindre les frimas

Qui m’envelopperont d’une façon lascive.

 

Tandis que pleureront mes parents, mes amis,

En songeant à mon corps sous quelques pieds de terre,

Mon âme libérée, dans les cieux infinis,

Recueillera encor leur dernière prière.

 

Je ne regretterai de mon trop court passage

Que bien peu de ces frères auxquels je ressemblais,

N’étant venu ici qu’après un long voyage

Où, à peine arrêté, vite j’en repartais.

 

L’infinité des cieux est ma demeure suprême,

J’évolue dans l’espace, ainsi que dans le temps ;

Tout pour moi n’est qu’amour, et grâce à ce seul thème

Ma vision de la vie est un vaste printemps.

 

 

 

 

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