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Franz Kafka (1883 - 1924) Franz Kafka nait à Prague le 3 juillet 1883. En 1908, après des études de droit, il occupe un emploi dans une compagnie d'assurances. Il commence son "Journal" en 1909 et publie son premier ouvrage en 1912 (Regards). En 1912, il rencontre une jeune berlinoise, felice Bauer. Il écrit Le Verdict en 1912, La Métamorphose en 1913 et Le Procès en 1914. En 1917, il rompt définitivement sa liaison avec Felice Bauer. La même année, sa tuberculose est diagnostiquée. Rédaction de La lettre au père en 1919 suite à la rupture de ses fiançailles avec Julie Wohryzek. En 1920 il rencontre Milena Jesenska qui entreprend de traduire ses textes en tchèque. Rédaction du Château en 1922. En 1923, Kafka fait la connaissance de Dora Dymant qui sera sa dernière compagne. ils s'installent à Berlin, où Kafka rédige plusieurs textes. En 1924, devant la dégradation de son état de santé Kafka est ramené à Prague, puis transporté dans un sanatorium près de Vienne. Il meurt le 3 juin 1924. Il est enterré à Prague. |
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Le procès (extrait)
Il est tout de même étrange qu'en se réveillant le matin on retrouve tout, du moins en général, exactement à la même place que la veille. On a été pourtant dans le sommeil et dans le rêve, dans un état tout différent de celui de l'homme éveillé, et il faut une présence d'esprit infinie, un sens étonnant de la riposte, pour situer tout ce qui est là, dès qu'on ouvre les yeux, à la même place que la veille. Aussi le moment du réveil est-il le plus risqué de la journée et une fois ce moment surmonté sans qu'on ait été changé de place on n'a plus à s'inquiéter le reste du jour.
........... Claude Nougaro Ô Toulouse
Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Jacques Brel
Le plat pays
Jacques Brel
Odilon-Jean PÉRIER (1901-1928)
Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps
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Pablo Neruda
Je prends congé, je rentre |
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LÉO de Luc Rose En écoutant un vieux Ferré Dont les mots claquent sur les portes Au verbe haïr au verbe aimer J’ai senti battre mon aorte Son air tragique ou rigolard Savait pourfendre où il fallait Plantant ses mots comme des dards Parfois pour dire qu’il aimait Le vieux Léo et ses chansons Les trémolos de sa voix aigre Sont dans mon cœur colimaçon J’aurais voulu être son nègre Bals musettes accordéons Rien à jeter tout à entendre Dans le silence ou violon J’ai vu le vent venir surprendre 15/07/2003 |
Léo Ferré |
Émile NELLIGAN (1879-1941) (Recueil:
Motifs poétiques)
poète canadien
LA FUITE DE L'ENFANCE
Par les jardins anciens foulant la paix des cistes,
Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,
Au seuil immaculé de la Villa d'antan.
Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles
De sa joie il expire. Et vois comme pourtant
Il se dresse sublime en ses robes spectrales.
Ici sondons nos cœurs pavés de désespoirs.
Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs
Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.
Et bien loin, par les soirs révolus et latents,
Suivons là-bas, dévers les idéales côtes,
La fuite de l'Enfance au vaisseau des Vingt ans.
LE VAISSEAU D'OR
Nelligan, Émile (1879-1941)
Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.
Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait le Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.
Ce fut un Vaisseau d'or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Aubade rouge
L'aube éclabousse les monts de sang
Tout drapés de fine brume,
Et l'on entend meugler frémissant
Un bœuf au naseau qui fume.
Voici l'heure de la boucherie.
Le tenant par son licol,
Les gars pour la prochaine tuerie
Ont mis le mouchoir au col.
La hache s'abat avec tel han,
Qu'ils pausent contre habitude.
Procumbit bos. Tel un éléphant
Croule en une solitude.
Le sang gicle. Il laboure des cornes
Le sol teint rouge hideux.
Et Phébus chante aux beuglements mornes
Du bœuf qu'on rupture à deux.
LES CORBEAUX
J'ai cru voir sur mon cœur un essaim de corbeaux
En pleine lande intime avec des vols funèbres,
De grands corbeaux venus de montagnes célèbres
Et qui passaient au clair de lune et de flambeaux.
Lugubrement, comme en cercle sur des tombeaux
Et flairant un régal de carcasses de zèbres,
Ils planaient au frisson glacé de nos ténèbres,
Agitant à leurs becs une chair en lambeaux.
Or ,cette proie échue à ces démons des nuits
N'était autre que ma Vie en loque, aux ennuis
Vastes qui tournant sur elle ainsi toujours
Déchirant à larges coups de bec, sans quartier,
Mon âme, une charogne éparse au champ des jours,
Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.
MA MÈRE
Quelquefois sur ma tête elle met ses mains pures,
Blanches, ainsi que des frissons blancs de guipures.
Elle me baise au front, me parle tendrement,
D'une voix au son d'or mélancoliquement.
Elle a les yeux couleur de ma vague chimère,
O toute poésie, ô toute extase, ô Mère!
A l'autel de ses pieds je l'honore en pleurant,
Je suis toujours petit pour elle, quoique grand
Chapelle de la morte
La chapelle ancienne est fermée,
Et je refoule à pas discrets
Les dalles sonnant les regrets
De toute une ère parfumée.
Et je t'évoque, ô bien-aimée !
Épris de mystiques attraits :
La chapelle assume les traits
De ton âme qu'elle a humée.
Ton corps fleurit dans l'autel seul,
Et la nef triste est le linceul
De gloire qui te vêt entière ;
Et dans le vitrail, tes grands yeux
M'illuminent ce cimetière
De doux cierges mystérieux.
La passante
Hier, j'ai vu passer, comme une ombre qu'on plaint,
En un grand parc obscur, une femme voilée :
Funèbre et singulière, elle s'en est allée,
Recelant sa fierté sous son masque opalin.
Et rien que d'un regard, par ce soir cristallin,
J'eus deviné bientôt sa douleur refoulée ;
Puis elle disparut en quelque noire allée
Propice au deuil profond dont son cœur était plein.
Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante :
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente
Où la vie à la tombe âprement nous conduit;
Tous la verront passer, feuille sèche à la brise
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit ;
Mais nul ne l'aimera, nul ne l'aura comprise.
Ma mère
Quelquefois sur ma tête elle met ses mains pures,
Blanches, ainsi que des frissons blancs de guipures.
Elle me baise au front, me parle tendrement,
D'une voix au son d'or mélancoliquement.
Elle a les yeux couleur de ma vague chimère,
O toute poésie, ô toute extase, ô Mère !
A l'autel de ses pieds je l'honore en pleurant,
Je suis toujours petit pour elle, quoique grand.
Nuit d'été
Le violon, d'un chant très profond de tristesse,
Remplit la douce nuit, se mêle aux sons des cors,
Les sylphes vont pleurant comme une âme en détresse,
Et les cœurs des arbres ont des plaintes de morts.
Le souffle du Veillant anime chaque feuille ;
Aux amers souvenirs les bois ouvrent leur sein ;
Les oiseaux sont rêveurs ; et sous l'œil opalin
De la lune d'été ma Douleur se recueille...
Lentement, au concert que font sous la ramure
Les lutins endiablés comme ce Faust ancien,
Le luth dans tout mon cœur éveille en parnassien
La grande majesté de la nuit qui murmure
Dans les cieux alanguis un ramage lointain,
Prolongé jusqu'à l'aube, et mourant au Matin.
Sérénade triste
Comme des larmes d'or qui de mon cœur s'égouttent,
Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes.
Vous tombez au jardin de rêve où je m'en vais,
Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais.
Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues
Çà et là, n'importe où, dans l'allée aux statues.
Couleur des jours anciens, de mes robes d'enfant,
Quand les grands vents d'automne ont sonné l'olifant.
Et vous tombez toujours, mêlant vos agonies,
Vous tombez, mariant, pâles, vos harmonies.
Vous avez chu dans l'aube au sillon des chemins,
Vous pleurez de mes yeux, vous tombez de mes mains.
Comme des larmes d'or qui de mon cœur s'égouttent,
Dans mes vingt ans déserts vous tombez toutes, toutes
Automne
Comme la lande est riche aux heures empourprées,
Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées !
Quels longs effeuillements d'angélus par les chênes !
Quels suaves appels des chapelles prochaines !
Là-bas, groupes meuglant de grands bœufs aux yeux glauques
Vont menés par des gars aux bruyants soliloques.
La poussière déferle en avalanches grises
Pleines du chaud relent des vignes et des brises.
Un silence a plu dans les solitudes proches :
Des Sylphes ont cueilli le parfum mort des cloches.
Quelle mélancolie ! Octobre, octobre en voie !
Watteau ! que je vous aime, Autran, ô Millevoye !
...........
Charles Baudelaire
Maître, il est beau ton Vers ; ciseleur sans pareil,
Tu nous charmes toujours par ta grâce nouvelle,
Parnassien enchanteur du pays du soleil,
Notre langue frémit sous ta lyre si belle.
Les Classiques sont morts ; le voici le réveil ;
Grand Régénérateur, sous ta pure et vaste aile
Toute une ère est groupée. En ton vers de vermeil
Nous buvons ce poison doux qui nous ensorcelle.
Verlaine, Mallarmé sur ta trace ont suivi.
O Maître tu n'es plus mais tu vas vivre encore,
Tu vivras dans un jour pleinement assouvi.
Du Passé, maintenant, ton siècle ouvre un chemin
Où renaîtront les fleurs, perles de ton déclin.
Voilà la Nuit finie à l'éveil de l'Aurore.
...........
Chopin
Fais, au blanc frisson de tes doigts,
Gémir encore, ô ma maîtresse !
Cette marche dont la caresse
Jadis extasia les rois.
Sous les lustres aux prismes froids,
Donne à ce cœur sa morne ivresse,
Aux soirs de funèbre paresse
Coulés dans ton boudoir hongrois.
Que ton piano vibre et pleure,
Et que j'oublie avec toi l'heure
Dans un Eden, on ne sait où...
Oh ! fais un peu que je comprenne
Cette âme aux sons noirs qui m'entraîne
Et m'a rendu malade et fou !
............
Christ en croix
Je remarquais toujours ce grand Jésus de plâtre
Dressé comme un pardon au seuil du vieux couvent,
Échafaud solennel à geste noir, devant
Lequel je me courbais, saintement idolâtre.
Or, l'autre soir, à l'heure où le cri-cri folâtre,
Par les prés assombris, le regard bleu rêvant,
Récitant Eloa, les cheveux dans le vent,
Comme il sied à l'Éphèbe esthétique et bellâtre,
J'aperçus, adjoignant des débris de parois,
Un gigantesque amas de lourde vieille croix
Et de plâtre écroulé parmi les primevères ;
Et je restai là, morne, avec les yeux pensifs,
Et j'entendais en moi des marteaux convulsifs
Renfoncer les clous noirs des intimes Calvaires.
...........
Dans l'allée
Toi-même, éblouissant comme un soleil ancien
Les Regrets des solitudes roses,
Contemple le dégât du Parc magicien
Où s'effeuillent, au pas du Soir musicien,
Des morts de camélias, de roses.
Revisitons le Faune à la flûte fragile
Près des bassins au vaste soupir,
Et le banc où, le soir, comme un jeune Virgile,
Je venais célébrant sur mon théorbe agile
Ta prunelle au reflet de saphir.
La Nuit embrasse en paix morte les boulingrins,
Tissant nos douleurs aux ombres brunes,
Tissant tous nos ennuis, tissant tous nos chagrins,
Mon cœur, si peu quiet qu'on dirait que tu crains
Des fantômes d'anciennes lunes !
Foulons mystérieux la grande allée oblique ;
Là, peut-être à nos appels amis
Les Bonheurs dresseront leur front mélancolique,
Du tombeau de l'Enfance où pleure leur relique,
Au recul de nos ans endormis.
...........
Le talisman
Pour la lutte qui s'ouvre au seuil des mauvais jours,
Ma mère m'a fait don d'un petit portrait d'elle,
Un gage auquel je suis resté depuis fidèle
Et qu'à mon cou suspend un cordon de velours.
" Sur l'autel de ton cœur, puisque la Mort m'appelle,
Enfant, m'a-t-elle dit, je veillerai toujours.
Que ceci chasse au loin les funestes amours,
Comme un lampion d'or, gardien d'une chapelle. "
Ah ! sois tranquille en les ténèbres du cercueil !
Ce talisman sacré de ma jeunesse en deuil
Préservera ton fils des bras de la Luxure,
Tant j'aurais peur de voir un jour sur ton portrait
Couler de tes yeux doux les pleurs d'une blessure,
Mère !... et dont je mourrais, plein d'éternel regret.
............
Premier remords
Au temps où je portais des habits de velours,
Éparses sur mon col roulaient mes boucles brunes.
J'avais de grands yeux purs comme le clair des lunes ;
Dès l'aube je partais, sac au dos, les pas lourds.
Mais en route aussitôt je tramais des détours,
Et, narguant les pions de mes jeunes rancunes,
Je montais à l'assaut des pommes et des prunes
Dans les vergers bordant les murailles des cours.
Étant ainsi resté loin des autres élèves,
Loin des bancs, tout un mois, à vivre au gré des rêves,
Un soir, à la maison, craintif, comme j'entrais,
Devant le crucifix où sa lèvre se colle
Ma mère était en pleurs !... O mes ardents regrets !
Depuis, je fus toujours le premier à l'école.
°°°°°°°°°°°
Poème écrit à Dachau, attribué au pasteur Martin Niemöller.
Quand ils sont venus
chercher les juifs
je n'ai rien dit
je n'étais pas juif
Quand ils sont venus
chercher les catholiques
je n'ai rien dit
je n'étais pas catholique
Quand ils sont venus
chercher les communistes
je n'ai rien dit
je n'étais pas communiste
Quand ils sont venus
chercher les syndicalistes
je n'ai rien dit
je n'étais pas syndicaliste
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.
°°°°°°°°°°°
Henri Michaux (1899-1984)
Ma Vie
Tu t'en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j'attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t'ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes.
A cause de ce manque, j'aspire à tant.
A tant de choses, à presque l'infini...
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu n'apportes.
Extrait de "La Nuit Remue" Poésie/Gallimard
Petit
Quand vous me verrez,
Allez,
Ce n'est pas moi.
Dans les grains de sable,
Dans les grains des grains,
Dans la farine invisible de l'air,
Dans le grand vide qui se nourrit comme du sang,
C'est là que je vis.
Oh ! je n'ai pas à me vanter : Petit ! petit !
Et si l'on me tenait,
On ferait de moi ce qu'on voudrait.
Le nuit remue Editions Gallimard
Le grand combat
Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupéte jusqu'à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerveau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret.
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Paul Géraldy
LA FOURMI
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh! Pourquoi pas ?
Absence
Ce n'est pas dans le moment
où tu pars que tu me quittes.
Laisse-moi, va, ma petite,
il est tard, sauve-toi vite !
Plus encor que tes visites
j'aime leurs prolongements.
Tu m'es plus présente, absente.
Tu me parles. Je te vois.
Moins proche, plus attachante,
moins vivante, plus touchante,
tu me hantes, tu m'enchantes !
Je n'ai plus besoin de toi.
Mais déjà pâle, irréelle,
trouble, hésitante, infidèle,
tu te dissous dans le temps.
Insaisissable, rebelle,
tu m'échappes, je t'appelle.
Tu me manques, je t'attends !
La dormeuse |
Paul Eluard
1895 - 1952
La bouche
aux lèvres d'or
n'est pas en moi pour rire
et tes mots d'auréoles
ont un sens si parfait
que de mes nuits damnées
de silences et de morts
j'entends vibrer ta voix
dans toutes les nuits du monde
LIBERTÉ
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom...
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
LIBERTÉ
Bonne justice
C'est la chaude loi des hommes
Du raisin ils font du vin
Du charbon ils font du feu
Des baisers ils font des hommes.
C'est la dure loi des hommes
Se garder intact malgré
Les guerres et la misère
Malgré les dangers de mort.
C'est la douce loi des hommes
De changer l'eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères.
Une loi vieille et nouvelle
Qui va se perfectionnant
Du fond du cœur de l'enfant
Jusqu'a la raison suprême.
& & & & &
Saint-John Perse
1887 - 1975
Berceuse
Première-Née - temps de l'oriole,
Le Sylphe,
Paul Valéry &
& & & &
Alain Grandbois,
poète Québécois, né le 25 mai 1900 &
& & & &
MOTS AU QUOTIDIEN...
Proposé par Angèle, auteur inconnu
les mots de tous les jours sans se prendre pour des acrobates
André Breton
Jacques Prevert N'hésitez
pas, ils sont nos contemporains ! Clic !
Dernière mise à jour : jeudi 17 juin 2004
Marcel
Proust (1871-1922) (recueil: Poèmes) Les Yeux d'Elsa Louis Aragon
La nuit de Dunkerque La Rose et le
Réséda ...........
Le modeste ...........
Première-Née - le mil en fleurs,
Et tant de flûtes aux cuisines...
Mais le chagrin au coeur des Grands
Qui n'ont que filles à leur arc.
S'assembleront les gens de guerre,
Et tant de sciences aux terrasses...
Première-Née, chagrin du peuple,
Les dieux murmurent aux citernes,
Se taisent les femmes aux cuisines.
Gênait les prêtres et leurs filles,
Gênait les gens de chancellerie
Et les calculs de l'astronome :
"Dérangerez-vous l'ordre et le rang?"
Telle est l'erreur à corriger.
Du lait de Reine tôt sevrée,
Au lait d'euphorbe tot vouée,
Ne ferez plus la moue des Grands
Sur le miel et sur le mil,
Sur la sébile des vivants...
L'ânier pleurait sous les lambris,
Oriole en main, cigale en l'autre :
"Mes jolies cages, mes jolies cages,
Et l'eau de neige de mes outres,
Ah! pour qui donc, fille des Grands ?"
Fut embaumée, fut lavée d'or,
Mise au tombeau dans les pierres noires :
En lieu d'agaves, de beau temps,
Avec ses cages à grillons
Et le soleil d'ennui des Rois.
S'en fut l'ânier, s'en vint le Roi !
"Qu'on peigne la chambre d'un ton vif
Et la fleur mâle au front des Reines..."
J'ai fait ce rêve, dit l'oriole,
D'un cent de reines en bas âge.
Pleurez, l'ânier, chantez l'oriole,
Les filles closes dans les jarres
Comme cigales dans le miel,
Les flûtes mortes aux cuisines
Et tant de sciences aux terrasses.
N'avait qu'un songe et qu'un chevreau
- Fille et chevreau de même lait -
N'avait l'amour que d'une Vieille.
Ses caleçons d'or furent au Clergé,
Ses guimpes blanches à la Vieille...
Très vieille femme de balcon
Sur sa berceuse de rotin,
Et qui mourra de grand beau temps
Dans le faubourg d'argile verte...
"Chantez, ô Rois, les fils à naître!"
Aux salles blanches comme semoule
Le Scribe range ses pains de terre.
L'ordre reprend dans les grands Livres.
Pour l'oriole et le chevreau,
Voyez le Maître des cuisines.
&
& & & &
Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu !
Ni vu ni connu
Hasard ou génie ?
A peine venu
La tâche est finie
Ni lu ni compris ?
Aux meilleurs esprits
Que d'erreurs promises !
Ni vu ni connu,
Le temps d'un sein nu
Entre deux chemises
Que la nuit
soit parfaite.
Que la nuit soit parfaite si nous en sommes dignes
Nulle pierre blanche ne nous indiquait la route
Où les faiblesses vaincues achevaient de mourir
Nous allions plus loin que les plus lointains horizons
Avec nos épaules et nos mains
Et cet élan pareil
Aux étincelles des insondables voûtes
Et cette faim de durer
Et cette soif de souffrir
Nous étouffant au cou
Comme mille pendaisons
Nous avons partagé nos ombres
Plus que nos lumières
Nous nous sommes montrés
Plus glorieux de nos blessures
Que des victoires éparses
Et des matins heureux
Et nous avons construit mur à mur
La noire enceinte de nos solitudes
Et ces chaînes de fer rivées à nos chevilles
Forgées du métal le plus dur
Que parfaite soit la nuit où nous nous enfonçons
Nous avons détruit tout bonheur et toute tendresse
Et nos cris désormais
N'auront plus que le tremblant écho
Des poussières perdues
Aux gouffres des néants
GRANDBOIS, Alain, Les îles de la nuit, Éditions de l'Hexagone, 1963.
ne portent ni veston ni cravate
ils dépeignent le quotidien
ils parlent de sentiments
de caresses et d'affection
ils tapent sur l'épaule
du copain qui est dans le pétrin
qui a besoin de compréhension
ils lui disent les mots qu'il faut
et ils versent avec compassion du baume
sur les plaies qui marquent sa peau
les mots sourient aussi à la vie
ils leur arrivent de faire les bouffons
de marcher les pattes en l'air
ils s'esclaffent et rigolent
ils racontent des blagues
souvent même assez polissonnes
s'expriment sans faire de détours
sur le sexe et la drague
ils s'amusent à jouer des tours
sans prendre les choses trop au sérieux
mais les mots comme va le vent
vite changent de direction
virent de tribord à bâbord
deviennent tantôt tristes
avec des accents mélancoliques
tantôt ils sont remplis d'angoisse
affichent des visages affligés
parfois avec gène ils bafouillent
ne savent plus trop quoi dire
alors tout piteux ils se taisent
leurs silences éloquents en disent long
à d'autres moments leur ton est lyrique
ils s'enfilent comme des perles
et s'alignent pour former des vers
qui disent avec plus de douceur
l'amour que l'on n'ose déclarer tout haut
ils prononcent tout bas les déclarations
de l'amoureux transi à sa bien-aimée
et quand ils deviennent muets
ce n'est pas parce qu'ils bougonnent
c'est qu'ils n'ont plus rien à dire
et que dans le dictionnaire ils dorment
(Auteur inconnu)
Tournesol
La voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l'été
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux
Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respiré la marraine de Dieu
Les torpeurs se déployaient comme la buée
Au Chien qui fume
Ou venaient d'entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d'eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l'ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre s'agenouilla sur le Pont au change
Rue Git-le-Coeur les timbres n'étaient plus les mêmes
Les promesses de nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l'habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu'on sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette femme ont l'air de nager
Et dans l'amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendres
Un soir près de la statue d'Etienne Marcel
M'a jeté un coup d'œil d'intelligence
André Breton a-t-il dit passe
La grasse matinée
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines...
Un peu plus loin le bistro
café-crème et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
oeuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l'assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire deu garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.
Les enfants qui s'aiment
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage leur mépris leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour.
Jacques Prevert
Je contemple souvent le ciel de ma mémoire
Le temps efface tout comme effacent les vagues
Les travaux des enfants sur le sable aplani
Nous oublierons ces mots si précis et si vagues
Derrière qui chacun nous sentions l'infini.
Le temps efface tout il n'éteint pas les yeux
Qu'ils soient d'opale ou d'étoile ou d'eau claire
Beaux comme dans le ciel ou chez un lapidaire
Ils brûleront pour nous d'un feu triste ou joyeux.
Les uns joyaux volés de leur écrin vivant
Jetteront dans mon cœur leurs durs reflets de pierre
Comme au jour où sertis, scellés dans la paupière
Ils luisaient d'un éclat précieux et décevant.
D'autres doux feux ravis encor par Prométhée
Étincelle d'amour qui brillait dans leurs yeux
Pour notre cher tourment nous l'avons emportée
Clartés trop pures ou bijoux trop précieux.
Constellez à jamais le ciel de ma mémoire
Inextinguibles yeux de celles que j'aimai
Rêvez comme des morts, luisez comme des gloires
Mon cœur sera brillant comme une nuit de Mai.
L'oubli comme une brume efface les visages
Les gestes adorés au divin autrefois,
Par qui nous fûmes fous, par qui nous fûmes sages
Charmes d'égarement et symboles de foi.
Le temps efface tout l'intimité des soirs
Mes deux mains dans son cou vierge comme la neige
Ses regards caressants mes nerfs comme un arpège
Le printemps secouant sur nous ses encensoirs.
D'autres, les yeux pourtant d'une joyeuse femme,
Ainsi que des chagrins étaient vastes et noirs
Épouvante des nuits et mystère des soirs
Entre ces cils charmants tenait toute son âme
Et son cœur était vain comme un regard joyeux.
D'autres comme la mer si changeante et si douce
Nous égaraient vers l'âme enfouie en ses yeux
Comme en ces soirs marins où l'inconnu nous pousse.
Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes
Le désir gonflait nos voiles si rapiécées
Nous partions oublieux des tempêtes passées
Sur les regards à la découverte des âmes.
Tant de regards divers, les âmes si pareilles
Vieux prisonniers des yeux nous sommes bien déçus
Nous aurions dû rester à dormir sous la treille
Mais vous seriez parti même eussiez-vous tout su
Pour avoir dans le cœur ces yeux pleins de promesses
Comme une mer le soir rêveuse de soleil
Vous avez accompli d'inutiles prouesses
Pour atteindre au pays de rêve qui, vermeil,
Se lamentait d'extase au-delà des eaux vraies
Sous l'arche sainte d'un nuage cru prophète
Mais il est doux d'avoir pour un rêve ces plaies
Et votre souvenir brille comme une fête.
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
La France sous nos pied comme une étoffe usée
S'est petit à petit à nos pas refusée
Dans la mer où les morts se mêlent aux varechs
Les bateaux renversés font des bonnets d'évêque
Bivouac à cent mille au bord du ciel et l'eau
Prolonge dans le ciel la plage de Malo
Il monte dans le soir où des chevaux pourrissent
Comme un piétinement de bêtes migratrices
Le passage à niveaux lève ses bras rayés
Nous retrouvons nos cœurs en nous dépareillés
Cent mille amours battant aux cœurs des Jean sans terre
Vont-ils à tout jamais cent mille fois se taire
O saint Sébastien que la vie a criblés
Que vous me ressemblez que vous me ressemblez
Sûr que seuls m'entendront ce qui la faiblesse eurent
De toujours à leur cœur préférer sa blessure
Moi du moins je crierai cet amour que je dis
Dans la nuit on voit mieux les fleurs de l'incendie
Je crierai je crierai dans la ville qui brûle
A faire chavirer des toits les somnambules
Je crierai mon amour comme le matin tôt
Le rémouleur passant chantant Couteaux Couteaux
Je crierai je crierai Mes yeux que j'aime où êtes-
Vous où es-tu mon alouette ma mouette
Je crierai je crierai plus fort que les obus
Que ceux qui sont blessés et que ceux qui ont bu
Je crierai je crierai Ta lèvre est le verre où
J'ai bu le long amour ainsi que du vin rouge
Le lierre de tes bras à ce monde me lie
Je ne peux pas mourir Celui qui meurt oublie
Je me souviens des yeux de ceux qui s'embarquèrent
Qui pourrait oublier son amour à Dunkerque
Je ne peux pas dormir à cause des fusées
Qui pourrait oublier l'alcool qui l'a grisé
Les soldats ont creusé des trous grandeur nature
Et semblent essayer l'ombre des sépultures
Visages de cailloux Postures de déments
Leur sommeil a toujours l'air d'un pressentiment
Les parfums du printemps le sable les ignore
Voici mourir le Mai dans les dunes du Nord
Louis Aragon
PAUL GERALDY
1885 -
Abat-jour
Tu demandes pourquoi je reste sans rien dire ?
C'est que voici le grand moment,
l'heure des yeux et du sourire,
le soir, et que ce soir je t'aime infiniment !
Serre-moi contre toi. J'ai besoin de caresses.
Si tu savais tout ce qui monte en moi, ce soir,
d'ambition, d'orgueil, de désir, de tendresse, et de bonté !...
Mais non, tu ne peux pas savoir !...
Baisse un peu l'abat-jour, veux-tu ? Nous serons mieux.
C'est dans l'ombre que les coeurs causent,
et l'on voit beaucoup mieux les yeux
quand on voit un peu moins les choses.
Ce soir je t'aime trop pour te parler d'amour.
Serre-moi contre ta poitrine!
Je voudrais que ce soit mon tour d'être celui que l'on câline...
Baisse encore un peu l'abat-jour.
Là. Ne parlons plus. Soyons sages.
Et ne bougeons pas. C'est si bon
tes mains tièdes sur mon visage!...
Mais qu'est-ce encor ? Que nous veut-on ?
Ah! c'est le café qu'on apporte !
Eh bien, posez ça là, voyons !
Faites vite!... Et fermez la porte !
Qu'est-ce que je te disais donc ?
Nous prenons ce café... maintenant ? Tu préfères ?
C'est vrai : toi, tu l'aimes très chaud.
Veux-tu que je te serve? Attends! Laisse-moi faire.
Il est fort, aujourd'hui. Du sucre? Un seul morceau?
C'est assez? Veux-tu que je goûte?
Là! Voici votre tasse, amour...
Mais qu'il fait sombre. On n'y voit goutte.
Lève donc un peu l'abat-jour.
Paul Géraldy.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
(Poème de Louis Aragon)
Les pays, c'est pas ça qui manque,
On vient au monde à Salamanque
A Paris, Bordeaux, Lille, Brest(e).
Lui, la nativité le prit
Du côté des Saintes-maries,
C'est un modeste.
Comme jadis a fait un roi,
Il serait bien fichu, je crois,
De donner le trône et le reste
Contre un seul cheval camarguais
Bancal, vieux, borgne, fatigué,
C'est un modeste.
Suivi de son pin parasol,
S'il fuit sans mêm' toucher le sol
Le moindre effort comme la peste,
C'est qu'au chantier ses bras d'Hercule
Rendraient les autres ridicules,
C'est un modeste.
A la pétanque, quand il perd
Te fais pas de souci, pépère,
Si d'aventure il te conteste.
S'il te boude, s'il te rudoie,
Au fond, il est content pour toi,
C'est un modeste.
Si, quand un emmerdeur le met
En rogne, on ne le voit jamais
Lever sur l'homme une main leste.
C'est qu'il juge pas nécessaire
D'humilier un adversaire,
C'est un modeste.
Et quand il tombe amoureux fou
Y a pas de danger qu'il l'avoue
Les effusions, dame, il déteste.
Selon lui, mettre en plein soleil
Son cœur ou son cul c'est pareil,
C'est un modeste.
Quand on enterre un imbécile
De ses amis, s'il raille, s'il
A l'œil sec et ne manifeste
Aucun chagrin, t'y fie pas trop:
Sur la patate, il en a gros,
C'est un modeste.
Et s'il te traite d'étranger
Que tu sois de Naples, d'Angers
Ou d'ailleurs, remets pas la veste.
Lui, quand il t'adopte, pardi!
Il veut pas que ce soit le dit,
C'est un modeste.
Si tu n'as pas tout du grimaud,
Si tu sais lire entre les mots,
Entre les faits, entre les gestes.
Lors, tu verras clair dans son jeu,
Et que ce bel avantageux,
C'est un modeste.
°°°°°°°°°°°
LA PAROLE, Paul Eluard
J'ai la beauté facile et c'est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Je suis devenue sentimentale
Je ne connais plus le conducteur
Je ne bouge plus soie sur les glaces
Je suis malade fleurs et cailloux
J'aime le plus chinois aux nues
J'aime la plus nue aux écarts d'oiseau
Je suis vieille mais ici je suis belle
Et l'ombre qui descend des fenêtres profondes
Épargne chaque soir le cœur noir de mes yeux
L'AMOUREUSE Paul ELUARD
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
...........
Robert Desnos (A la Mystérieuse, 1926)
A la faveur de la nuit
Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre, c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent qui balance bizarrement
la flamme et le drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s'ouvre: ce n'est pas toi.
Je le savais bien.
Henri Michaux
SUR LE CHEMIN DE LA MORT
Sur le chemin de la mort,
Ma mère rencontra une grande banquise ;
Elle voulut parler,
Il était déjà tard ;
Une grande banquise d'ouate.
Elle nous regarda mon frère et moi,
Et puis elle pleura.
Nous lui dîmes - mensonge vraiment absurde -
Que nous comprenions bien.
Elle eut alors un si gracieux sourire
de toute jeune fille,
Qui était vraiment elle,
Un si joli sourire presqu'espiégle ;
Ensuite elle fut prise dans l'Opaque.
REPOS DANS LE MALHEUR
Le Malheur, mon grand laboureur,
Le Malheur, assoies-toi,
Repose-toi,
Reposons-nous un peu toi et moi,
Repose,
Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me le prouves.
Je suis ta ruine.
Mon grand théâtre, mon havre, mon âtre,
Ma cave d'or,
Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon.
Dans ta lumière, dans ton ampleur, dans mon horreur,
Je m'abandonne.
(poèmes extrait de " Plume ")
POUR TOI MON AMOUR
Jacques Prévert
Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraile
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et puis je suis allé au marché aux esclaves
Et je j'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
mon amour.
LE TEMPS PERDU
Jacques Prévert
Devant la porte de l'usine
le travailleur soudain s'arrête
le beau temps l'a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l'œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c'est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron?
JAQUES PREVERT
L'adieu
Guillaume Apollinaire
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
°°°°°°°°°°°
Quelques points de repères sur la vie de Léonard Cohen
En 1959, il découvre l’Angleterre et part s’installer dans l’île grecque d’Hydra où, séduit par le climat et la qualité de vie, il séjournera sept ans.
Chaque caillou rêve de lui-même,
René Char
Pyrénées |
Dernière mise à jour : jeudi 17 juin 2004