PATRICIA
GUENOT
Poids de l'absence
Loin de toi, je n'entends que les accords mineurs
Que l'ange de l'ennui murmure à mon oreille,
Pendant que je termine une ultime bouteille
Avant de m'effondrer en hurlant de douleur.
Pour noyer le chagrin qui étouffe mon cour,
J'avale un océan de mauvais jus de treille,
Dont le feu solitaire accompagne ma veille
Jusqu'au matin odieux, débordant de froideur.
Au tréfonds de la nuit pétrie de ton absence,
Le sinistre réveil martèle le silence
De son pas monotone au tempo accablant.
Un soleil insouciant avive ma tristesse
En dardant un bouquet de rayons insolents
Sur la chambre déserte où l'espace m'oppresse.
Puits de joie
Le soleil printanier darde son feu lustral
Sur la place où l'ennui envahit les terrasses,
Sous l'oil indifférent d'un flot d'oiseaux fugaces
Qui s'envolent en chour vers le ciel matinal.
Dans les rues imprégnées d'un calme minéral,
Où les rideaux tirés suggèrent des menaces,
Un rire torrentiel, subitement, fracasse
Le ténébreux silence au parfum hivernal.
Une fanfare entonne une chanson splendide
Qui répand prestement un espoir intrépide
Dans les cours endormis des sombres citadins.
Grisés par leurs désirs, deux amoureux fébriles,
Tendrement enlacés sur un banc d'un jardin,
Creusent un puits de joie au centre de la ville.
Soudaine gaieté
Ce matin, le soleil darde sur mes douleurs
Un surprenant bouquet de joyeuses lumières,
Accordées aux accents des chansons printanières
D'un bataillon d'oiseaux gazouillant leur bonheur.
L'ange du désespoir, qui verse sur mon cour
Un déluge glacé de peines familières,
Disparaît brusquement dès que la cafetière
M'appelle en exhalant d'envoûtantes odeurs.
Mon sage ordinateur affiche à mon passage
Un torrent endiablé de mystérieux messages,
Assemblés en faisceau de soudaine gaieté.
Ma plume se répand en poèmes limpides
Dont les fiévreux quatrains, pétris de volupté,
Exaltent mon espoir d'un avenir splendide.
Obsession funèbre
Que m'importe aujourd'hui la chaleur estivale
D'un soleil insolent qui darde sur les fleurs
Un enivrant bouquet de rayons enchanteurs
Afin que, de leur cœur, un doux parfum s'exhale !
Que m'importe à présent la chanson des cigales,
Réunies pour louer l'éternelle splendeur
De la terre parée de soyeuses couleurs
Tendrement éclairées par l'aurore d'opale !
Au lieu de savourer ces champêtres trésors,
Je succombe à l'appel de l'ange de la mort,
Dont la main implacable emprisonne mon âme.
Rebelle à la gaieté de l'univers radieux,
J'offre mon avenir au démon dont les flammes
Dévorent la beauté étendue sous mes yeux.
Poker truqué
Sombrement affalée dans ta vie mensongère,
Sourde aux supplications de mon âme en tourment,
Tu joues à la roulette avec mes sentiments
Dans l'obscur casino de tes peurs solitaires.
Sur le rivage ombreux de ton poison polaire,
Tu défies l'avenir en sculptant les diamants
De tes rêves trompeurs qui forment le ciment
Du caveau insondable où mon espoir s'enterre.
Tu calcules ta chance aux cartes du hasard
Dont l'ange impitoyable enfonce son poignard
Dans le désert brumeux de ton esprit morbide.
Tu mises ta raison dans un fumeux poker
Où un dealer truqueur te pique ton liquide
Contre un ticket aller pour le rail de l'enfer.
Jeu de dames
Sur la toile du Net se promènent des dames
Dont l'esprit acéré, rusé comme un fennec,
Me balade en bateau pour me mettre en échec
Sur l'immense échiquier de nos vains mélodrames.
Pauvre pion ballotté par les bobards infâmes
De poupées trafiquées dont les prises de bec
Dévoilent prestement les sentiments plus secs
Qu'un désert africain, je m'écorche à leurs lames.
Au royaume maudit des plaisirs marginaux,
Des fées sophistiquées, vêtues d'un domino,
Jouent mon cœur exalté à la roulette russe.
Les reines enragées qui me donnent le mat
Déploient sournoisement un écheveau d'astuces
Afin de s'abriter des ravages d'un pat.
Vénus désabusée
Vénus, dans son berceau, sourit à sa marraine,
La bonne fée venue apporter la beauté
Au bébé rubicond, occupé à téter
Sous le regard brûlant d'un vieux cousin obscène.
La fière adolescente, au teint de porcelaine,
Déclenche un tourbillon de désirs tourmentés
Dans le cœur des garçons dont la timidité
Transforme la candeur en fébrilité vaine.
La magnifique adulte, au buste généreux,
Sourde à la jalousie de son amant fiévreux,
Assouvit goulûment ses impulsions frivoles.
La vieille solitaire au visage flétri,
Que la férocité de son déclin désole,
Fracasse son miroir en conciliants débris.
Abri mental
Dégoûtée par l’écran qui montre un reportage
Où des soldats, menés par un chef virulent,
Torturent des gamins sous un ciel insolent,
Je renonce à subir ces funèbres images.
Le nez dans mon journal, je feuillette les pages
Dont l’horreur se déverse en insidieux relents
Qui sèment dans mon cœur un défilé sanglant
De cadavres porteurs de macabres présages.
Au moment de voter, de mauvais comédiens
Crachent à mon oreille un torrent quotidien
De mensonges honteux, érigés en programmes.
Au fond de mon esprit, je construis un abri
Dont le silence armé pulvérise les lames
De l’inhumanité en purulents débris.
Peuple versatile
D’inconséquents gamins, armés de mitraillettes,
Se livrent en riant à des actes odieux
Pour que des généraux aux desseins orgueilleux
Proclament fièrement leurs funèbres conquêtes.
Des journaux racoleurs transforment leurs manchettes
En brûlants raccourcis de ragots pernicieux
Qui traînent brusquement des hommes prestigieux
Dans un boueux torrent d’infâmes épithètes.
D’un geste dédaigneux qui succède aux bravos,
L’anonyme furieux noie dans le caniveau
La photo du héros qui a déçu son âme.
Les puissants condamnés aux griffes du mépris
Écoutent la clameur du peuple qui s’enflamme
Pour ceux dont il mettra bientôt la tête à prix.
Professeur pervers
Le professeur pervers, dégoulinant de haine,
Jubile en concevant de sournois examens,
Destinés à punir les stupides gamins
Qui sèment dans sa classe une pagaille obscène.
Il s’enferme chez lui, chaque fin de semaine,
Pour inventer des tests aux pièges inhumains,
Qu’il inflige aux enfants, en se frottant les mains,
Emporté par l’élan de sa fureur malsaine.
Un émoi indécent lui réchauffe le cœur
Lorsqu’une adolescente aux timides rondeurs
Répond à son regard par un gracieux sourire.
Quand un garçon s’endort, le nez sur son bureau,
L’enseignant interrompt son laïus pour prescrire
Au rêveur impudent un fortifiant zéro.
Professeur perfide
Pétri de dureté, je torture les gosses
Qui foutent dans ma classe un ignoble bordel.
Je me venge en pondant des contrôles mortels,
Truffés d’un chapelet de traquenards atroces.
Quand un voyou vicieux vient me chercher des crosses,
Je le convoque un soir avec son paternel
Que je noie sous un flot de mensonges cruels
Pour qu’il flanque au fumiste une rouste féroce.
Je déguste à midi un repas raffiné
Pendant que les gamins se font empoisonner
À coups de plats infects, dégoulinant de graisse.
J’inonde les week-ends de ces maudits nullards
D’une pluie de devoirs pendant que je paresse
En lisant un polar au fond de mon plumard.
Vénérable lycée
Vénérable lycée, sublime cathédrale !
Dans les salles sacrées de ton brillant abri,
Depuis des décennies, tu mènes les esprits
Sur la voie du savoir, jusqu’à la terminale.
Tu guides la pensée dans l’immense dédale
Des ténébreux secrets que cèlent tes murs gris,
Pour qu’au creux des cerveaux que ta manne nourrit,
Tes bourgeons se déploient en rayonnants pétales.
Empreints de dignité, les heureux lauréats,
Fraîchement gratifiés du baccalauréat,
Abordent fièrement le monde des adultes.
École menacée par le mépris cinglant
Que suscite ton nom chez de fielleux incultes,
Ouvre ton puits de science à ces sots insolents.
Rêve protecteur
Rêve tiède et joyeux, cultive dans mon âme
Un jardin parfumé, imprégné de douceur,
Dont les fleurs colorées chasseront de mon cœur
Les ombres du passé au goût de mélodrame.
Au lieu de t’effacer devant l’aube qui trame
Un voile silencieux de funestes douleurs
Pour troubler le sommeil des paisibles dormeurs,
Empêche le soleil de répandre ses flammes.
Enroule mon esprit dans un douillet écrin
Afin de le soustraire au pernicieux chagrin
Tapi dans les lueurs du matin volontaire.
Exhale ta tendresse au fond de mon cerveau
Pour draper les échos de ma peur solitaire
D’un manteau protecteur contre le jour nouveau.
Espoir intrépide
Les flots de la fontaine effacent les sanglots
De la belle inconnue dont le lourd maquillage
Étouffe la candeur de son jeune visage
Sous un masque obscurci aux accents de mélo.
Délivrée du passé, elle avance en solo,
Grisée par la chanson d’un rossignol sauvage,
Jusqu'au centre endormi d’un étrange village
Tristement éclairé par un soleil pâlot.
Dans le vieux cimetière envahi d’herbes folles,
Son âme verglacée désapprend la parole
Pour laver les affronts des perfides humains.
Loin du fouillis sanglant de la ville putride,
Elle creuse en silence un sibyllin chemin
Vers l’avenir où plane un espoir intrépide.
Puits de lumière
Lassée de sa vie de poussière,
Elle creuse un puits de lumière,
Où le soleil darde le soir
Ses rayons d’or où danse encore
Un espoir que la nuit décore
D’une armée de papillons noirs.
Dans le silence qui l’ennuie,
Elle écoute tomber la pluie
Qui compose un bourbeux tableau
Parsemé d’épines de rose,
Pour lacérer l’aurore éclose
Avant de la noyer dans l’eau.
Macadam
Sous le regard sournois de condés en vadrouille,
Occupés à fouiller un malheureux quidam,
Un dealer baraqué attend près du hammam
Un toxico friqué aux yeux pétris de trouille.
Sourdes aux railleries d’intrépides arsouilles
Qui sèment la terreur dans un furieux ramdam
Pour gagner le blason de roi du macadam,
Les putains* patentées harponnent des pedzouilles.
Un tocard en peignoir balade son clébard
Sur le trottoir merdeux du bruyant boulevard
Où un poivrot puant tend sa pogne crasseuse.
Quand un car pullulant de touristes naïfs
Déverse dans Paris des trombines joyeuses,
Les voyous venimeux affûtent leur canif.
* autre version : morues
Mac à dames
Savamment attifé d’un air patibulaire,
Un maquereau brutal en costard à carreaux
Balance une mandale au répugnant poivrot
Dont le clébard claudique en clamant sa colère.
Sous les pâles lueurs d’hirsutes réverbères,
Des bourgeois, épuisés en sortant du bureau,
Déversent leur ennui dans de poisseux bistrots
Avant de se payer une femme légère.
Les putains du quartier comptent leurs abattis
Quand un bruyant essaim de camés travestis
Met brusquement le cap sur leur coin de bitume.
Les julots des morues lâchent des malabars
Qui forment les intrus au respect des coutumes
Grâce aux explications de leur hargneux pétard.
Came sur le macadam
La fleur de macadam refile à son julot
L’oseille soutirée à des tocards salaces
Dans une piaule affreuse aux murs couverts de crasse,
Que lui loue à prix fort un sinistre salaud.
L’espoir de s’échapper loin de son gigolo
Lui permet d’encaisser les hargneuses menaces
Du mac qui, mécontent du nombre de ses passes,
Lui enseigne au rasoir la passion du boulot.
La gosse, paniquée par ses colères dingues,
Dissimule sa trouille à grands coups de seringues,
Qui creusent le caveau de son corps de putain.
Quand le dealer véreux qui lui fournit sa came
Balance aux poulagas le blase du crétin
Qui la fait tapiner, elle quitte Paname.
Discret miroir
Devant les yeux glacés de son discret miroir,
L’homme conduit sa vie, de la prime jeunesse
Jusqu’à l’hiver amer où résonne sans cesse
Un funeste tocsin au parfum d’ostensoir.
L’adolescent ardent, gorgé de doux espoirs,
Porte sur son image un regard de tendresse,
Tandis que le vieillard déplore la mollesse
De son corps racorni qui peine à se mouvoir.
Le visage charmant, réfléchi dans la glace,
S’écorche aveuglément à la griffe vorace
Du temps qui obscurcit les sourires charmeurs.
Vers le soir de ses jours, l’homme se désespère
Devant son reflet gris dont l’œil pétri de peur
Présage tristement son trépas solitaire.
Fric-frac en vue
Insensible au chahut de son cousin soiffard
Qui dilue âprement le départ de sa femme
Dans le flot corrosif d’une vinasse infâme,
Elle fait boulotter son vorace têtard.
Son mari mate en coin un feuilleton ringard,
Parsemé de truands à l’accent de Paname,
Sans se préoccuper du regard lourd de flammes
De sa dame assourdie par les coups de pétards.
Les deux poivrots bavards au cerveau de pois chiche
Tètent négligemment de puantes cibiches
Amplement arrosées d’un ignoble cognac.
Quand ces fieffés tocards à la mine lubrique
Se lancent dans le plan d’un stupide fric-frac,
Elle prie en secret pour que des flics les piquent.
Flaque d’eau
Discrète flaque d’eau gisant sur le trottoir,
Impassible témoin des secrets de la ville,
Tu souilles les souliers du piéton malhabile
Qui marche brusquement sur ton corps sans te voir.
Quand un nuage noir se décide à pleuvoir,
Le bataillon touffu de ses diamants labiles
Dessine sur ta robe un fantasque reptile
Dont les anneaux ondoient sur ton flasque miroir.
Les enfants du quartier, au sortir de l’école,
Aveuglément lancés dans une course folle,
Maculent leurs habits en foulant ton tapis.
Tu exaltes l’espoir des âmes vagabondes
En noyant les débris de leurs désirs flapis
Dans ton menu berceau aux promesses fécondes.
Vieil avare
Le vieil avare avale un verre de pinard
Sous le regard sournois de la sale gamine
Que lui donne à garder sa fantasque voisine,
Une pute camée maquée à un tocard.
Le fossile, assourdi par l’infernal chambard
D’un groupe de voyous gorgés de cocaïne,
Beugle sur son balcon avec sa carabine,
Jusqu’à ce que des flics embarquent les lascars.
Brisé dans son élan de crétin sanguinaire,
Le débris débraillé assouvit sa colère
Dans un hargneux polar pétri d’affreux truands.
Quand un rire égrillard annonce l’asphalteuse
Au seuil de son logis, le vétéran puant
Se laisse submerger par une envie fiévreuse.
Lettres d’espérance
Dans ta vie en creux
Encombrée d’absences,
Jonchée de morts anonymes,
Je loge mes défaillances,
Mes déchirures amères,
Mon gouffre d’incertitudes.
Dans ton caveau de solitude
Souillé de tes errances
Au centre de l’ennui,
Je pose mes faiblesses,
Mes peurs suicidaires,
Mes questions étouffées.
Dans ton cœur déserté,
Rongé de trahisons,
Lourd d’oubli silencieux,
Je trace le chemin délié
De nos rires continus
Dans la tendresse à venir.
Dans tes cauchemars de glaise
Peuplés de spectres muets,
Pétris de reproches labiles,
J’écris nos noms radieux
En lettres d’espérance,
À l’encre de notre union intime.
Aube rose
Pour quitter le désert de ma vie de poussière,
J’aspire à découvrir le pays de lumière,
Où la lune alanguie, qui enflamme le soir,
Invite le soleil à paresser encore
Dans le ciel velouté que les astres décorent
De rougeoyants flambeaux tachés de diamants noirs.
Les nuages obscurs, qu’un ouragan ennuie,
S’enfuient à tire-d’aile en emportant leur pluie
Loin de ce paradis dont le gracieux tableau
Offre, chaque matin, aux feux de l’aube rose,
Les pétales soyeux de la gaieté éclose
Dans le rire argentin qui résonne sur l’eau.
Nuit de poussière
Dans le silence amer de ma nuit de poussière,
Où l’ennui se tapit dans les nuages noirs
Qui pleuvent sur le lit de mes pâles espoirs,
Ma souffrance s’écrit en lettres familières.
Mon âme se déchire aux griffes meurtrières
De mes âpres regrets au parfum d’ostensoir,
Pendant que ton absence, à l’approche du soir,
Me serre dans l’étau d’une angoisse incendiaire.
Ma vie se déconstruit dans l’hostile désert
De mon cœur dévasté par l’effrayant cancer
Du chagrin résigné, pétri de solitude.
Quand un souffle putride asphyxie mes poumons,
J’arrache violemment mes vaines certitudes
Pour former une gerbe en l’honneur du démon.
Feu de l’espérance
Au centre de mon cœur pousse un affreux chardon
Dont la fleur abolit les peurs qui me chagrinent,
Tandis que, déchiré par ses longues épines,
Mon espoir se répand dans un puits d’abandon.
Ma carcasse enflammée par les cruels brandons
Que le maître du mal, d’une main assassine,
Applique sans répit sur ma frêle poitrine,
Implore le trépas à défaut de pardon.
Dans le ciel constellé de nuées lapidaires,
Jaillissent des éclairs, messagers éphémères,
Qui étouffent l’écho de mes sanglots amers.
Lovée dans le berceau d’un apaisant silence,
J’enterre les débris de mes défunts diserts
Pour offrir mon esprit au feu de l’espérance.
Promenade parisienne
Je marchais dans Paris au hasard des trottoirs,
Rebelle aux railleries des vagabonds salaces.
Mes talons, échauffés par mes grosses godasses,
Me donnaient l’impression de chausser des rasoirs.
Longuement accoudée à de crasseux comptoirs,
Je buvais des godets d’une atroce vinasse
Pour tenter d’oublier les affreuses grimaces
Des spectres dont les cris me pourchassaient le soir.
Sans pitié pour mes pieds blessés par mes chaussures,
Je traçais mon chemin au milieu des voitures
Dont les klaxons stridents effrayaient les moineaux.
Quand mon soulier foula une trace canine,
Je courus implorer le marchand de journaux
D’essuyer cette horreur dans un vieux magazine.
Fuite funeste
Pour fuir les hurlements de la famille entière
Dans le grand magasin, le crétin ténébreux,
Armé de son regard plus froid qu’un cimetière,
Se débine en solo dans le matin brumeux.
Loin du caddie jonché de paquets de litière
Destinés au greffier, un vieux matou galeux,
Méchamment harcelé par les chats de gouttière,
Le tocard s’abandonne à un espoir frileux.
Dans le charivari d’une gare enfumée,
Où dominent les cris d’une alarme enrhumée,
Le voyou délivré met son pote au parfum.
Sous les yeux effarés d’un vieillard hydropique,
Les deux loubards rudoient un gamin qui se pique
Avant de l’envoyer au pays des défunts.
Chienne de vie
Après cinq jours pourris de sinistre labeur,
Le zonard harassé remplace la pagaille
De son burlingue étroit par l’odieuse grisaille
De sa banlieue infecte où règne la terreur.
Dès qu’il a englouti un ragoût sans saveur,
Le vaurien, agacé par ses gosses qui braillent,
File se réfugier dans les bras d’une caille
Pendant que sa moitié étouffe sa rancœur.
Le dimanche à midi, sa vieille belle mère,
Une triste bourgeoise au sourire polaire,
Vient semer le boxon pour tromper son ennui.
Le nez sur son godet, au fond de sa cuisine,
Le scélérat, bercé par les bruits de la nuit,
Assouvit en pensée sa fureur assassine.
Fleur d'illusion
Quand elle eut terminé de nourrir ses moutards
À coups de cuillérées d'un fadasse potage,
Le regard égrillard de son homme au chômage
Lui donna l'énergie de s'enfuir au hasard.
L'esprit galvanisé par le mauvais pinard,
Avec un vague espoir pour unique bagage,
Elle quitta d'un coup son compagnon en rage
Pour échapper aux gnons de ce fieffé tocard.
Libérée du carcan de sa vie mensongère,
Elle espérait bâtir un jardin solitaire,
Loin des vives fureurs de ce voyou vicieux.
Quand un fort ronflement déchira son oreille,
Le souffle purulent de son mari odieux
Déversa sur son rêve un remugle de treille.
Vin solitaire
Au lieu de partager un déluge de verres
Avec des inconnus, compagnons de hasard,
Qui trompent leur ennui dans la fumée des bars,
Je préfère étancher ma soif en solitaire.
À l’abri du regard de mes vils congénères,
J’engloutis des tonneaux du vermillon nectar
Qui berce mon esprit dans son douillet brouillard,
Afin d’anéantir mes pensées délétères.
Au gré des fantaisies de mon tendre élixir,
Je sillonne les flots des lumineux plaisirs
Que procure à mon corps une insolente ivresse.
Ma boisson me conduit dans le jardin soyeux
Où mon cœur, délivré de l’effroi qui l’oppresse,
Invente un avenir de sourires radieux
Rêves torrentiels
L’éloquence embrouillée par le feu de l’ivresse,
Je chante les vertus du liquide infernal
Qui chasse de mon cœur le chagrin hivernal
Dont le poison amer, au fil des jours, m’oppresse.
Mon bienveillant nectar déroule ses richesses
En vagues de chaleur dont le flot triomphal
Transforme brusquement mon ennui minéral
En gerbe de plaisirs constellée de promesses.
De mon flacon jaillit un limpide soleil
Qui darde sur mon corps ses doux rayons vermeils
Afin de réchauffer mon âme solitaire.
Quand mon regard perçoit le lascif arc-en-ciel
Qui répand ses couleurs jusqu’au fond de mon verre,
Je m’envole au pays des rêves torrentiels.
Sémillants cocktails
Armée de mes flacons aux vigoureux nectars,
Depuis le vin nouveau jusqu’au whisky hors d’âge,
Je vogue sur les flots des liquides mirages
Qui noient les spectres noirs de mes froids cauchemars.
Guidée par les humeurs du facétieux hasard,
J’invente sans répit de mystérieux breuvages
Dont les couleurs mêlées composent des images
Que l’ivresse transforme en nappes de brouillard.
Les sémillants cocktails qui brillent dans mon verre
Éteignent les sanglots de mon cœur solitaire
Avant de me plonger dans des rêves soyeux.
L’arc-en-ciel velouté de mon jardin limpide
Compose des bouquets dont le parfum radieux
Efface les relents de mon chagrin morbide.
Téléphone aphone
Au centre de la nuit, le tic tac monotone
De la vielle pendule envahit mon esprit,
Si bien que ma gaieté s’effiloche en débris
De spectres calcinés dont les sanglots résonnent.
Insensible à ma peur, le maudit téléphone,
Sobrement enfermé dans son froid coffre gris,
Arbore obstinément son ténébreux mépris
Dont le voile muet, lentement, m’emprisonne.
Afin de me plonger dans un ennui létal,
Le cruel appareil creuse un gouffre infernal
D’atroce solitude, où se noie la parole.
Entraînée par le poids de mon amer chagrin,
Condamnée à l’oubli, mon âme dégringole
Dans le néant glacé au silence d’airain.
Ligne solitaire
Sourd au charivari de propos insipides,
Tristement affalé sur le bord du comptoir,
Le jeune vagabond noie ses papillons noirs
Dans un poisseux torrent de mensonges liquides.
L’écheveau silencieux de ses peurs se dévide
Dans le flot ténébreux de l’ivresse du soir,
Qui l’emmène voguer, sur le fil du rasoir,
Jusqu’au douillet pays des rêves intrépides.
Quand la main du chagrin lacère son poitrail,
Guidé par le hasard, il délaisse les rails
De l’ennui pour tracer sa ligne solitaire.
Il assemble ses joies en fascinant bouquet
Dont l’enivrant parfum chasse l’odeur amère
Des nuits de beuveries dans d’infâmes troquets.
Étang hanté
Sur l’étang hanté,
Le têtard entêté
Tète sa tante alitée.
Un nuage lacté
Flétrit la pureté
De la tasse de thé.
La clarté de l’été
Transforme la cité
En ardente beauté.
La comète bleutée
S’éteint à côté
De la terre dévastée.
La liberté, dégoûtée
Par la cruauté butée,
S’effrite dans l’éternité.
Futur avorté
Dans le tombeau glacé de ma noire cervelle
Se déroule un ballet de fantômes sanglants
Qui foulent mes pensées sous leurs pieds purulents
Afin de me plonger dans une peur mortelle.
Ma bouche crache un flot de chansons de crécelles
Soufflées par le démon dont le rire insolent
Résonne jusqu’au fond de mon esprit tremblant,
Si bien que je succombe à sa fièvre cruelle.
Dans la nuit ténébreuse, un gigantesque éclair
Déchire brusquement le tréfonds de ma chair,
Répandue en poussière exhalant ma souffrance.
Mon âme se dissout dans l’espace empesté
Pendant que mon corps froid se disloque en silence
Dans le hideux cercueil du futur avorté.
Royaume virtuel
En ce calme matin, devant l’ordinateur,
Sur le fil qui m’entraîne à l’autre bout du monde,
Dans la main d’Internet, mon esprit vagabonde
Afin d’anéantir mes stériles douleurs.
Pendant que je regarde un essaim de couleurs
Composer un tableau en moins d’une seconde,
Je me laisse charmer par l’araignée féconde
Qui tisse son filet dans le fond de mon cœur.
La Voie Lactée s’effondre en débris délétères,
Savamment retranscris en images binaires
Par l’électrique fée tapie dans mon écran.
De mes doigts magiciens, je tire les ficelles
De mon douillet royaume, à l’abri du cadran
Que l’avenir manie de sa griffe cruelle.
Cœur exigu
Dans le creux de la nuit, un parfum d'au-delà
Hante les boulevards de la ville déserte
Pendant qu'un spectre amer aux orbites inertes
Murmure une menace aux accents de verglas.
Drapée d'un voile gris, l'aube sonne le glas
Du carrousel obscur des rêveries disertes
Avant de lacérer, de ses griffes expertes,
Les ombres étendues sur les visages las.
Un timide soleil darde un rai de lumière
Sur les tombes usées du vaste cimetière
Dont les grilles rouillées grincent des cris aigus.
Un nuage glacé pleure la solitude
Des humains prisonniers de leur coeur exigu,
Caveau prématuré de leurs vicissitudes.
Fleur de macadam
Lascivement drapée d'un poisseux maquillage
Qui cache le dégoût niché dans son regard,
Elle aguiche les gars au coin du boulevard,
Sous les yeux des condés tapis dans les parages.
Experte patentée dans l'art du racolage,
Insensible aux jurons des gosses goguenards,
Elle s'offre aux clients qu'un relent de cafard
Jette subitement loin de leur femme sage.
Lorsque son souteneur lui vole son argent,
Elle espère en secret le secours des agents,
Enchaînée au poison qui réchauffe ses veines.
Dans les ombres ténues du brouillard matinal,
Elle entrevoit l'espoir d'une évasion prochaine
Loin de la cruauté de ce monde infernal.
Océan mental
Au creux de mon esprit s'étend un océan
Dont les flots fracassants inondent ma tristesse,
Si bien que, survoltée par une ardente ivresse,
Je m'envole, emportée par un aigle géant.
La mer glacée s'engouffre aux portes du néant
Pour noyer les démons dont les griffes me blessent,
Avant de m'immerger dans un puits de tendresse
Où m'attend une fée aux brillants yeux béants.
Les vagues déchaînées embrassent les nuages
Pour former des diamants qu'un cristallin orage
Déverse dans mon sang afin de l'enflammer.
Grisée par la chanson du ressac tutélaire,
J'aborde au nirvana de mon cœur transformé
En lumineux jardin où ma joie se libère.
Nuit secrète
Lourde et secrète nuit, compagne de mes peines,
Dans ton épais manteau, dissimule les peurs
Adroitement tapies au tréfonds de mon cour,
Afin de dissiper les démons qui m'enchaînent.
Dans le calme soyeux de ton voile d'ébène,
Entonne un doux refrain aux accents enchanteurs
Pour assécher le flot de mes vaines douleurs
Avant de réveiller l'aurore souveraine.
Lorsque le coq lointain annonce le matin,
Veille à envelopper mes rêves clandestins
Dans ton vaste manteau pétri de froid silence.
Garde précieusement mes fragiles espoirs
À l'abri du soleil qui chaque jour s'élance
À l'assaut de mon corps allongé dans le noir.
Photo jaunie
Extirpée d'un tiroir par la main du hasard,
Une photo jaunie, venue de ma jeunesse,
Déverse dans mon âme un parfum de tristesse,
Comme un obscur remords évadé d'un placard.
Sur le portrait, un homme au ténébreux regard,
Figé dans un rictus dont la froideur me blesse,
Affiche un noir chagrin si âpre qu'il m'oppresse
Avant d'exacerber mes brumeux cauchemars.
Les spectres du passé ancrés dans ma mémoire
Inscrivent leurs regrets sur le sanglant grimoire
Des mortels prisonniers des griffes du destin.
Pour échapper aux pleurs des défunts solitaires,
Étouffés sous le poids des souvenirs éteints,
Je brûle mes clichés dans un feu tutélaire.
Sœur de Diamant
Je t'aime tant, fleur de mon sang, sœur de diamant,
Que je donnerais mon corps solitaire
Pour tarir le flot de tes pleurs polaires,
Qui lance ton chagrin jusqu'au firmament.
Pour étouffer l'écho du vacarme assommant
Des fantômes juchés sur tes pensées amères,
Je cultive un jardin de fleurs imaginaires,
Aux ardentes couleurs de mes tendres serments.
Je t'emmène danser dans l'eau de la fontaine
Où une gaie sirène aux yeux de porcelaine
Entonne une chanson aux accents enchanteurs.
Les baisers que je sème au creux de ton épaule
Déchaînent un ballet de frissons prometteurs
Qui libèrent ton corps de son aride geôle.
Faisceau de plaisirs
Sous les tièdes lueurs des bougies odorantes,
Dont le soyeux ballet exalte son ardeur,
Allongée sur le sol, Valérie, sans pudeur,
Livre son corps tendu aux mains de son amante.
Sur le velours laiteux de sa peau frissonnante,
La bouche de Sophie cueille un bouquet de fleurs
Dont l'enivrant parfum déverse dans le cour
Des femmes enlacées une joie enivrante.
Grisées par l'alchimie de leurs âpres désirs
Dont le flot creuse un puits d'incendiaires soupirs,
Elles jouent un cantique imprégné de tendresse.
L'intrépide volcan de leurs baisers brûlants
Souffle sa fièvre avide au sein de leurs caresses
Pour former un faisceau de plaisirs insolents.
Poison mental
Dans mon corps vermoulu souffle un vent de tempête
Sournoisement gorgé de l'élixir létal
Que jette le démon aux griffes de métal
Sur les os rabougris de mon tremblant squelette.
Drapé dans la fumée d'une âcre cigarette,
Le malin envahit mon dédale mental
Afin de déverser son poison déloyal
Dans mon cerveau pétri de révoltes secrètes.
Dans l'écrin cotonneux du présent indolent,
Le hasard se répand en oracles sanglants
Qui brisent les remparts de mon âme brumeuse.
Quand un éclair brûlant enflamme mon esprit,
Le ténébreux faisceau de mes pensées rêveuses
S'effondre bruyamment en sibyllins débris.
Blanc nectar
En dérive intérieure au creux d'un rêve orange,
Je découvre un jardin dont les immenses fleurs
Exhalent leur parfum jusqu'au fond de mon cour
Afin de composer une atmosphère étrange.
Dans mon corps plus léger que la plume d'un ange,
Une aimable sirène au regard enjôleur
Entonne un chant vibrant dont la tendre chaleur
Referme adroitement les plaies qui me démangent.
Sous mes yeux, dans un champ d'immenses tournesols,
Un bataillon d'oiseaux prend soudain son envol
Vers le pays radieux où m'entraîne mon songe.
Dans le velours vermeil de mon sang enflammé
S'écoule un blanc nectar dont les vagues me plongent
Dans l'écrin où s'éteint mon effroi désarmé.
Eau de feu
Pour chasser le démon tapi dans mes entrailles,
J'avale des tonneaux d'une exquise eau de feu
Qui brise mon chagrin dans ses rudes tenailles
Avant de dérouler dans mon cour un ciel bleu.
Mon nectar insolent dessine un puits de joie
Dans mon esprit jonché de cadavres fumants,
Où mes pâles remords, subitement, se noient
Dans un charivari d'atroces hurlements.
Aux heures du matin, mon âme fracassée,
Frêle esquif ballotté au tréfonds de mon corps,
Plonge dans le sommeil mes souvenirs retors.
Éveillée par un flot de brumeuses pensées
Bercées par une averse inondant le trottoir,
Je dilue ma tristesse au fond d'un café noir.
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