Seizième siècle

 

Isaac Habert
(1560 ?-v. 1625) 

Né à Paris, Habert fut valet de chambre et secrétaire du roi Henri III. Dans sa jeunesse, il avait été au service de Guy de Saint-Gelais, seigneur de Lansac et lointain cousin du poète Mellin de Saint-Gelais. Selon Habert lui-même, ce fut par des conversations fréquentes qu’il eut avec ce seigneur que le jeune homme qu’il était prit goût à l’éloquence et à la philosophie. Il semble qu’Habert n’ait eu que vingt-deux ans lorsqu’il éditer ses Oeuvres Poétiques, et vingt-cinq lorsqu’il fit imprimer en 1585 son autre recueil, philosophique celui-là, Les Trois Livres des Meteores (brève biographie d’après Jacques Roubaud, Soleil du soleil. Le sonnet français de Marot à Malherbe, Paris, POL, 1990, p. 181-182 ; cinq autres sonnets d’Habert p. 182-183).

X

Sur les feux de la Saint-Jean

L'on ne voit rien que feux, l'air est tout enflammé,
Le ciel est tout rougi, à peine la lumière
Des astres apparaît, l'ombre s'enfuit derrière.
Cette nuit-ci resemble un beau jour allumé !
 [”ressemble un” = “ressemble à un” ; construction ancienne]

Mais hélas ! dedans moi Amour trop animé
Fait croître à tous moments une flamme meurtrière, 
["meurtrière" : 2 syllabes au XVIè s.]
Et pour l’entretenir mon coeur sert de matière,
Et dans l’eau de mes yeux, je serai consumé.

Ces feux qu’on fait ici, ce sont feux de liesse,
Mais le feu qui me brûle est un feu de tristesse
Qui me fait vivre en peine et mourir en tourment.

On danse, on chante, on rit autour de cette flamme,
Moi je pleure et soupire, et en pleurant, mon âme
Gémit autour du feu qui me va consumant.

 



Charles IX (1550-1574)



Ronsard,

Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien ; 
Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien ; 
Par ainsi je conclus qu'en savoir tu me passe 
D'autant que mon printemps tes cheveux gris efface. 
L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner, 
Doit être à plus haut prix que celui de régner. 
Tous deux également nous portons des couronnes 
Mais, roi, je la reçus ; poète, tu la donnes. 
Ton esprit enflammé d'une céleste ardeur 
Éclate par soi-même, et moi par ma grandeur. 
Si du côté des Dieux je cherche l'avantage, 
Ronsard est leur mignon et je suis leur image. 
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords, 
Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps ; 
Elle s'en rend le maître et te fait introduire 
Où le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire, 
Elle amollit les cœurs et soumet la beauté :
Je puis donner la mort, toi l'immortalité.

 

Le désir d'amour prend aujourd'hui, comme le reste, des accents américains. 
On dit d'une star qu'elle est glamour. 
Ou de n'importe quelle femme qu'elle est, ou n'est pas, sexy, comme si la vulgarité de ce mot n'apparaissait plus aux héritiers de la vieille gauloiserie. Eh ! bien, nous publions, depuis le mois dernier, une série de proses et poèmes érotiques d'ancienne tradition. 
Voici trois sonnets, dont les auteurs, excusez-nous, n'y vont pas de main morte. (Textes choisis par le Lausannois Claude-Henri Roulet, auteur d'une anthologie à paraître sous le titre Suc et sang des mots).

 



J'avais passé quinze ans, les premiers de ma vie,
Sans avoir jamais sçeu quel estoit cet effort
Où le branle du cul fait que l'âme s'endort,
Quand l'homme a dans un con son ardeur assouvie.

Ce n'estoit pas pourtant qu'une éternelle envie
Ne me fît désirer une si douce mort,
Mais le vit que j'avois n'estoit pas assez fort
Pour rendre comme il faut une Dame servie.

Je travaille depuis, et de jour, et de nuit,
A regagner ma perte, et le temps qui s'enfuit,
Mais déjà l'Occident menace mes journées…

O Dieu ! je vous appelle, aydez à ma vertu :
Pour un acte si doux, allongez mes années
Ou me rendez le temps que je n'ai pas foutu !

François de Malherbe (après 1605).

* * *

Cà, je veux fourniller en ton joli fourneau
Car j'ai de quoi esteindre et allumer la flamme ;
Je vous veux chatouiller jusqu'au profond de l'âme,
Et vous faire mourir avec un bon morceau.

Ma petonne, inventons un passe-temps nouveau,
Le chantre ne vaut rien qui ne dit qu'une game :
Faictes donc le seigneur et je ferai la dame,
Serrez, poussez, entrez, et retirez tout beau.

Je remuray à bons d'une vitesse ardente,
Nos pieds entrelacez, nostre bouche baisante,
La langue fretillarde ira s'entremouillant.

Jouons assis, debout, a costé, par derrière
(Non à l'italienne) et tousjours babillant,
Ceste diversité est plaisante à Cythere.

Marc Papillon de Lasphrise (vers 1575).

* * *

Madame un jour sur mes genoux assise
D'un luth charmait mon esprit très versé,
Quand pour jouer de son luth renversé
Habilement je levai sa chemise.

Amour adonc enflamme, allume, attise
Le feu qu'il a dans nos âmes versé.
Je me pâmais et ma belle Circé
Mourait aussi d'un même feu éprise.

Quoi ! dis-je alors, tes doigts n'en peuvent plus ?
Dessus le manche ils languissent perclus
Sans fredonner les accords que tu passes ?

Elle me dit, mon désirable objet,
Mes doigts n'ont rien qu'à tenir le sujet :
Assez mon cul fredonne sur les basses.

Jean Auvray (1633). 




GUILLAUME DE SALUSTE DU BARTAS

(1544-1590)

Fin du monde


Un jour de comble en fond les rochers crouleront,
Les monts plus sourcilleux de peur se dissoudront,
Le Ciel se crèvera, les plus basses campagnes,
Boursouflées, croîtront en superbes montagnes ;
Les fleuves tariront, et si dans quelque étang
Reste encor quelque flot, ce ne sera que sang ;
La mer deviendra flamme, et les sèches baleines,
Horribles, mugleront sur les cuites arènes ;
En son midi plus clair le jour s'épaissira,
Le ciel d'un fer rouillé sa face voilera.
Sur les astres plus clairs courra le bleu Neptune,
Phoebus s'emparera du noir car de la lune ;
Les étoiles cherront. Le désordre, la nuit,
La frayeur, le trépas, la tempête, le bruit,
Entreront en quartier ; et l'ire vengeresse
Du Juge criminel, qui jà déjà nous presse,
Ne fera de ce Tout qu'un bûcher flamboyant,
Comme il n'en fit jadis qu'un marais ondoyant.

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Je ne me lasse pas de cette épigramme de Marot mise en musique par mon ami Certon en 1538... et sur la chanson de Certon (1538, comme l'épigramme elle-même), Roland de Lassus écrivit une messe en 1570 ! 
Ah, les chantres ont dû se tordre de rire en en chantant le "Kyrie" de la "Missa super Frere Thibault", "Kyrie" dont la musique est celle de la chanson de Certon quasiment note pour note, seul le texte ayant changé. Parce que ces gaillards-là connaissaient aussi bien le répertoire profane que celui de l'Église...

Epigramme XLVII

Frere Thibault, sejourné gros et gras,
Tiroit de nuict une garce en chemise.
Par le treillis de sa chambre les bras
Elle passa, puis la teste y a mise,
Et puis le seing, mais elle fut bien prise,
Car le fessier y passer ne put onc :
"Par la mort bieu, (ce dit le moyne adonc),
Il ne m'en chault de bras, tetin ne teste.
Passez le cul, ou vous retirez donc,
Je ne sçauroys sans luy vous faire feste.

HERBERAY, Nicolas de, 

"AU LECTEUR, SONNET DE HERBERAY", extr.
  Le second livre de Amadis de Gaule ... par le Seigneur des Essars, Nicolas
  de Herberay (1541).


 
Benin lecteur, de jugement pourvu,
 Quand tu verras l'invention gentille
 De cet auteur, contente toy du stille
 Sans t'enquerir s'il est vray ce qu'as lu.
 Qui est celuy qui peut dire : j'ai vu
 Blasmer Homere ou accuser Virgile
 Pour n'estre vray ainsi que l'Evangile
 En escrivant tout ce qu'il leur a plu ?
 Quand Apelles nous a peint Jupiter
 En Cygne blanc, Taureau ou autre beste,
 Des Anciens il n'a esté repris.
 Donc si tu vois en ce Livre imiter
 L'Antiquité, loue l'effort honneste,
 Car tout bon oeuvre est digne de bon prix.

ROUBAUD, Jacques, Soleil du Soleil. Le sonnet français de Marot à Malherbe, Paris, P.O.L., 1990, 
ZILLI, Luigia, Mellin de Saint-Gelais. Sonnets, Genève, Droz, 1990, LXII + 62 p. (num. 7-8)

 MAROT, Clément, "... A MADAME DE FERRARE"

 Me souvenant de tes bontés divines
 Suis en douleur, princesse en ton absence ;
 Et si languis quand suis en ta présence
 Voyant ce lys au milieu des espines.
 O la douceur des douceurs feminines,
 O cueur sans fiel, o race d'excellence,
 O traitement remply de violence,
 Qui s'endurcit pres des choses benignes.
 Si seras tu de la main soutenue
 De l'Eternel, comme sa chair tenue
 Et tes nuisants auront honte et reproche.
 Courage, dame, en l'air je vois la nue
 Qui çà et là s'escarte et diminue
 Pour faire place au beau temps qui s'approche.

 



Quel âge pouvait bien avoir Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) lorsqu'il
écrivit ce huitain sur Saint Jérôme, huitain resté manuscrit jusqu'à nos
jours, et publié dans les "Oeuvres poétiques françaises" (Paris, STFM, 1995,
T. II, p. 76) ? Rien ne permet de le dire, mais il est plus que probable que
le poète n'était pas encore un "bon vieillard"...

En un Sainct Jherome

Ce bon vieillard qui bat sa coulpe
Me doibt recevoir de sa troupe
Car je batz à toute rigueur
La mienne à l'endroit de mon coeur
Pour la grand faute qu'il commit
Quant à un autre il se soubzmit
Si remply de rebellion
Que plus domptable est un lyon.

(vers 2 : comprendre : "dans sa troupe"
vers 8 : les représentations picturales de Saint Jérôme comprennent souvent
un lion parce qu'il fut ermite dans le désert)



En l'honneur du saint du jour, deux quatrains de Mellin de Saint-Gelais
(1491-1558) trouvés dans les "Oeuvres poétiques françaises", Paris, STFM,
1995, T. II, p. 10 et 23. Ce seront les derniers de la série.

[sans titre]

Quand vous verrez sainct François en paincture
D'un seraphin les playes recepvant,
Souvienne vous que plus forte poincture
Vous m'avez mis en l'ame et plus avant.

(vers 1 : "les playes" = "les stigmates"
vers 3 : "Souvenez vous que plus forte blessure").


En un Sainct François

J'ay veu sans songe et sans paincture
Une plus qu'ange et seraphin
Dont j'ay receu playe et poincture
Qui de ma vie sera fin.

commentaire de Roubaud :
Le premier sonnet composé par Marot date probablement de l'été 1536.
Marot, en exil à Ferrare, s'était mis sous la protection de Renée de France, fille de Louis XII et cousine de François Ier ; c'est un poème de consolation à la duchesse, en butte aux persécutions de son mari, le duc de Ferrare.
Il est conservé dans un manuscrit dit manuscrit de Chantilly, offert par Marot au connétable Anne de Montmorency [...].


MAROT, Clément, "SONNET DE LA DIFFÉRENCE DU ROY ET DE L'EMPEREUR"

 L'un s'est vu pris, non plusieurs fois, mais une,
 En plein conflit, faisant aspres efforts ;
 L'autre deux fois n'a eu courage, fors
 Fuir de nuit, sans craindre honte aucune.
 L'un fut en camp exemple de fortune,
 L'autre un patron de vrays actes tres ords.
 L'un par sa prise a perdu des tresors,
 L'autre l'honneur, trop plus cher que pecunes.
 L'un a fort bras, du pied l'autre est expert.
 L'un veut user de puissance en appert,
 L'autre en secret maux infinis conspire.
 Quand tout est dit (pource qu'il vaut et sert) :
 D'estre chez luy à croppir il dessert :
 Et cestuy cy deust manier l'Empire.

(commentaire de Roubaud : )
Ce sonnet du manuscrit de Chantilly, composé avant mars 1538, est resté inédit jusqu'au XIXè s.
Il y est question de la lutte de François Ier contre l'empereur Charles Quint ; une allusion faite à la rançon du premier, et à une fuite du second dont on ne sait rien.

  
MAROT, Clément, "POUR LE MAY PLANTÉ PAR LES IMPRIMEURS DE LYON DEVANT LE LOGIS DU SEIGNEUR TRIVULSE"
  

  Au Ciel n'y a ne Planete ne Signe
  Qui a si point su gouverner l'Année
  Comme est Lyon, la Cité, gouvernée
  Par toy, Trivulse, homme clair et insigne.
  Cela disons pour ta Vertu condigne
  Et pour la joye entre nous demenée
  Dont tu nous as la liberté donnée,
  La Liberté des tresors le plus digne.
  Heureux Vieillard : les gros Tabours tonnants,
  Le May planté et les Fifres sonnants
  En vont louant toy et ta noble Race.
  Or pense donc que sont nos voulentés
  Vu qu'il n'est rien, jusqu'aux Arbres plantés,
  Qui ne t'en loue et ne t'en rende grace.

Cliquez sur Clément !

 
commentaire de Roubaud :
Ce "premier sonnet imprimé" a été publié pour la première fois dans l'édition d'Étienne Dolet des Oeuvres, en 1538. Il figure dans le second livre des Epigrammes.


 
MAROT, Clément, "VOY CHI ASCOLTATE IN RYME SPARSE IL SUONO"

 Vous qui oyez en mes rimes le son
 D'iceux soupirs dont mon cueur nourissoie
 Lors qu'en erreur ma jeunesse passoie
 N'estant pas moy, mais bien d'autre façon.
 De vains travaux dont fis rime et chanson
 Trouver m'attends (mais qu'on les lise et voie)
 Non pitié seule ains excuse en la voie
 Où l'on cognoist Amour, ce faux garçon.
 Si vois je bien maintenant et entends
 Que longtemps fus au peuple passetemps,
 Dont a par moy honte le cueur me ronge.
 Ainsi le fruit de mon vain exercice
 C'est repentance avec honte et notice
 Que ce qui plaist au monde n'est que songe.

 

Commentaire de Roubaud :

 Ce sonnet, tiré des "six sonnets de Pétrarque sur la mort de sa dame Laure, traduictz en françois", date vraisemblablement de 1539, comme les suivants.

MAROT, Clément, "O PASSY SPARSY O PENSIER VAGHI E PROMPTI"

  O pas espars, ô pensées soudaines
 O aspre ardeur, ô memoire tenante,
 O cueur debile, ô volonté puissante,
 O vous, mes yeux, non plus yeux, mais fontaines,
 O branche, honneur des vainqueurs capitaines,
 O seule enseigne aux poetes duisante,
 O douce erreur qui sous vie cuisante
 Me fait aller cherchant et monts et plaines.
 O beau visage où Amour met la bride
 Et l'esperon dont il me poinct et guide
 Comme il luy plaist, et deffense y est vaine.
 O gentils cueurs et ames amoureuses,
 S'il en fut onc, et vous ombres paoureuses,
 Arrestez vous pour voir quelle est ma peine.

 

Destiné à la surdité, il décide de se consacrer à l'étude et aux Lettres. Entouré de poètes, ami
Des princes, le Chef de l'École de la Pléiade mènera l'heureuse existence d'un poète de cour comblé d'amours et de gloire. Renié, puis oublié pendant deux siècles, il a aujourd'hui retrouvé sa place, qui est de premier rang.

 

(Recueil : Second livre des Amours)

Je ne suis seulement amoureux de Marie

Je ne suis seulement amoureux de Marie,
Anne me tient aussi dans les liens d'Amour,
Ore l'une me plaît, ore l'autre à son tour :
Ainsi Tibulle aimait Némésis, et Délie.

On me dira tantôt que c'est une folie
D'en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour,
Voire, et qu'il faudrait bien un homme de séjour,
Pour, gaillard, satisfaire à une seule amie.

Je réponds à cela, que je suis amoureux,
Et non pas jouissant de ce bien doucereux,
Que tout amant souhaite avoir à sa commande.

Quant à moi, seulement je leur baise la main,
Les yeux, le front, le col, les lèvres et le sein,
Et rien que ces biens-là d'elles je ne demande.

(Recueil : Premier livre des Amours)

Ce beau corail, ce marbre qui soupire

Ce beau corail, ce marbre qui soupire,
Et cet ébène ornement du sourcil,
Et cet albâtre en voûte raccourci,
Et ces saphirs, ce jaspe et ce porphyre,

Ces diamants, ces rubis qu'un Zéphyre
Tient animés d'un soupir adouci,
Et ces oeillets, et ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or même se mire,

Me sont au coeur en si profond émoi,
Qu'un autre objet ne se présente à moi,
Sinon, le beau de leur beau que j'adore,

Et le plaisir qui ne se peut passer
De les songer, penser et repenser,
Songer, penser et repenser encore.

(Recueil : Second livre des Amours)

Ha ! que je porte et de haine et d'envie

Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !

Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.

Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,

Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !

...........

Marie, vous avez la joue aussi vermeille

Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Qu'une rose de mai, vous avez les cheveux
De couleur de châtaigne, entrefrisés de noeuds,
Gentement tortillés tout autour de l'oreille.

Quand vous étiez petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son doux miel savoureux,
Amour laissa ses traits dans vos yeux rigoureux,
Pithon vous fit la voix à nulle autre pareille.

Vous avez les tétins comme deux monts de lait,
Qui pommellent ainsi qu'au printemps nouvelet
Pommellent deux boutons que leur châsse environne.

De Junon sont vos bras, des Grâces votre sein,
Vous avez de l'Aurore et le front, et la main,
Mais vous avez le coeur d'une fière lionne.




Sonnets pour Hélène

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.

Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
..........

A Cupidon

Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.

L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.

Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.

Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.

Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.

Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.

Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.

Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.

Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.

Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.

Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.

Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.

Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.

Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,

Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.

...........

 
 À la forêt de Gastine

Couché sous tes ombrages verts,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers
La forêt d'Érymanthe :

Car, malin, celer je ne puis
À la race future
De combien obligé je suis
À ta belle verdure,

Toi qui, sous l'abri de tes bois,
Ravi d'esprit m'amuses ;
Toi qui fais qu'à toutes les fois
Me répondent les Muses ;

Toi par qui de l'importun soin
Tout franc je me délivre,
Lorsqu'en toi je me perds bien loin,
Parlant avec un livre.

Tes bocages soient toujours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naïades !

En toi habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flamme sacrilège !
 
...........


Amourette

Or que l'hiver roidit la glace épaisse,
Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,
Non accroupis près le foyer cendreux,
Mais aux plaisirs des combats amoureux.
Assisons-nous sur cette molle couche.
Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,
Pressez mon col de vos bras dépliés,
Et maintenant votre mère oubliez.
Que de la dent votre tétin je morde,
Que vos cheveux fil à fil je détorde.
Il ne faut point, en si folâtres jeux,
Comme au dimanche arranger ses cheveux.
Approchez donc, tournez-moi votre joue.
Vous rougissez ? il faut que je me joue.
Vous souriez : avez-vous . point ouï
Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?
Je vous disais que la main j'allais mettre
Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?
Ne fuyez pas sans parler : je vois bien
A vos regards que vous le voulez bien.
Je vous connais en voyant votre mine.
Je jure Amour que vous êtes si fine,
Que pour mourir, de bouche ne diriez
Qu'on vous baisât, bien que le désiriez ;
Car toute fille, encor' qu'elle ait envie
Du jeu d'aimer, désire être ravie.
Témoin en est Hélène, qui suivit
D'un franc vouloir Pâris, qui la ravit.
Je veux user d'une douce main-forte.
Hà ! vous tombez, vous faites jà la morte.
Hà ! quel plaisir dans le coeur je reçois !
Sans vous baiser, vous moqueriez de moi
En votre lit, quand vous seriez seulette.
Or sus ! c'est fait, ma gentille brunette.
Recommençons afin que nos beaux ans
Soient réchauffés de combats si plaisants.
 
........... 
 


Dans le serein de sa jumelle flamme

Dans le serein de sa jumelle flamme
Je vis Amour, qui son arc débandait,
Et sur mon coeur le brandon épandait,
Qui des plus froids les moelles enflamme.

Puis çà puis là près les yeux de ma dame
Entre cent fleurs un rets d'or me tendait,
Qui tout crépu blondement descendait
A flots ondés pour enlacer mon âme.

Qu'eussé-je fait ? l'Archer était si doux,
Si doux son feu, si doux l'or de ses noeuds,
Qu'en leurs filets encore je m'oublie :

Mais cet oubli ne me tourmente point,
Tant doucement le doux Archer me point,
Le feu me brûle, et l'or crêpe me lie.

...........
 

Ha ! que je porte et de haine et d'envie

Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !

Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.

Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,

Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !

........... 

Mignonne, allons voir si la rose
A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

...........
 
Ores l'effroi et ores l'espérance

Ores l'effroi et ores l'espérance
De tous côtés se campent en mon coeur :
Ni l'un ni l'autre au combat n'est vainqueur,
Pareils en force et en persévérance.

Ores douteux, ores pleins d'assurance,
Entre l'espoir et le froid de la peur,
Heureusement de moi-même trompeur,
Au coeur captif je promets délivrance.

Verrai-je point avant mourir le temps,
Que je tondrai la fleur de son printemps,
Sous qui ma vie à l'ombrage demeure ?

Verrai-je point qu'en ses bras enlacé,
Recru d'amour, tout pantois et lassé,
D'un beau trépas entre ses bras je meure ?
 
...........


Pour son tombeau

Ronsard repose icy qui hardy dés enfance
Détourna d'Helicon les Muses en la France,
Suivant le son du luth et les traits d'Apollon :
Mais peu valut sa Muse encontre l'eguillon
De la mort, qui cruelle en ce tombeau l'enserre.
Son ame soit à Dieu, son corps soit à la terre.

...........


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie

...........


Te regardant assise auprès de ta cousine

Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.

La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil.
Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.

Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.

Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.
J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,
Craignant que mon salut n'eût ton oeil offencé.

 

Joachim du Bellay (1522-1560)

Je hais plus que la mort un jeune casanier,
Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de fêtes,
Et craignant plus le jour qu'une sauvage bête,
Se fait en sa maison lui-même prisonnier.

Mais je ne puis aimer un vieillard voyager,
Qui court deçà, delà, et jamais ne s'arrête,
Ainsi, des pieds moins léger que léger de la tête,
Ne séjourne jamais non plus qu'un messager.

L'un sans se travailler en sûreté demeure,
L'autre, qui n'a de repos jusques à tant qu'il meure,
Traverse nuit et jour mille lieux dangereux;

L'un passe riche et sot heureusement sa vie,
L'autre, plus souffreteux qu'un pauvre qui mendie,
S'acquiert en voyageant un savoir malheureux.

............

(Recueil : Les Regrets)

France, mère des arts, des armes et des lois

France, mère des arts, des armes et des lois, 
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle, 
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois, 
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ? 
France, France, réponds à ma triste querelle. 
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine, 
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine 
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture, 
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

 



  C'était ores, c'était qu'à moi je devais vivre.

C'était ores, c'était qu'à moi je devais vivre,
Sans vouloir être plus que cela que je suis,
Et qu'heureux je devais de ce peu que je puis
Vivre content du bien de la plume et du livre.

Mais il n'a plu aux dieux me permettre de suivre
Ma jeune liberté, ni faire que depuis
Je vécusse aussi franc de travaux et d'ennuis,
Comme d'ambition j'étais franc et délivre.

Il ne leur a pas plu qu'en ma vieille saison
Je susse quel bien c'est de vivre en sa maison,
De vivre entre les siens sans crainte et sans envie :

Il leur a plu (hélas) qu'à ce bord étranger
Je visse ma franchise en prison se changer,
Et la fleur de mes ans en l'hiver de ma vie.

Les regrets (1558)



- Heureux qui comme Ulysse


Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

                                  ...........

Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point

Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j'abandonnai la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.

Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon cœur me donnait assez signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.

Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire :
Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,

N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?

                                ...........


Cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire

Cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire :
Pour ce qu'en médisant on dit la vérité,
Et louant, la faveur, ou bien l'autorité,
Contre ce qu'on en croit, fait bien souvent écrire.

Qu'il soit vrai, pris-tu onc tel plaisir d'ouïr lire
Les louanges d'un prince ou de quelque cité,
Qu'ouïr un Marc Antoine à mordre exercité
Dire cent mille mots qui font mourir de rire ?

S'il est donques permis, sans offense d'aucun,
Des moeurs de notre temps deviser en commun,
Quiconque me lira m'estime fol ou sage :

Mais je crois qu'aujourd'hui tel pour sage est tenu,
Qui ne serait rien moins que pour tel reconnu,
Qui lui aurait ôté le masque du visage.




Baiser 

Quand ton col de couleur rose 
Se donne à mon embrassement 
Et ton oeil languit doucement 
D'une paupière à demi close, 

Mon âme se fond du désir 
Dont elle est ardemment pleine 
Et ne peut souffrir à grand'peine 
La force d'un si grand plaisir. 

Puis, quand s'approche de la tienne 
Ma lèvre, et que si près je suis 
Que la fleur recueillir je puis 
De ton haleine amboisienne, 

Quand le soupir de ces odeurs 
Où nos deux langues qui se jouent 
Moitement folâtrent et nouent, 
Eventent mes douces ardeurs, 

Il me semble être assis à table 
Avec les dieux, tant je suis heureux, 
Et boire à longs traits savoureux 
Leur doux breuvage délectable. 

Si le bien qui au plus grand bien 
Est plus prochain, prendre ou me laisse, 
Pourquoi me permets-tu, maîtresse, 
Qu'encore le plus grand soit mien? 

As-tu peur que la jouissance 
D'un si grand heur me fasse dieu? 
Et que sans toi je vole au lieu 
D'éternelle réjouissance? 

Belle, n'aie peur de cela, 
Partout où sera ta demeure, 
Mon ciel, jusqu'à tant que je meure, 
Et mon paradis sera là. 





 

Second livre des Amours
Pierre Ronsard
(1524-1585) 



Ha ! que je porte et de haine et d'envie

Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !

Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.

Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,

Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !

 



Je vous envoie un bouquet.

Je vous envoie un bouquet que main
Vient de trier de ces fleurs épanies ;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront, toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
Pour c'aimez-moi cependant qu'êtes belle.

Pièces retranchées des amours (1578)


°°°°°°°°°°



SAINT GELAIS, Mellin de

Cette "Deploration de Venus sur la mort du bel Adonis", d'inspiration italienne, figure dans deux manuscrits et deux sources imprimées ("Deploration...", Lyon, 1545 et "Saingelais. Oeuvres", Lyon 1547). Elle fut mise en musique par Pierre Certon ("Premier livre de chansons", Paris, 1552) et reprise par deux autres musiciens.

Laissez la verde couleur
O princesse Cytherée,
Et de nouvelle douleur
Vostre beauté soit parée.

Pleurez le fils de Myrrha
Et sa dure destinée :
Vostr' oeil plus ne le verra
Car sa vi est terminée.

Venus à ceste nouvelle
Remplit toute la valée
D'une complainte mortelle,
Et au lieu s'en est alée

Où le gentil Adonis
Estendu sur la rosée
Avoit ses beaus yeux ternis
Et de sang l'herb' arrousée.

Dessouz une verte branche
Auprez de luy s'est couchée
Et de sa belle main blanche
Sa playe luy a touchée.

O nouvelle cruauté
De voir en pleurs si baignée
La déesse de beauté
D'amy mort acompagnée.

L'un est blessé et transfix
Aux flans par best' incensée,
Et l'autre l'est de son filz
Bien avant dans la pensée.

Mais l'un sa playe ne sent,
Personne ja trespassée,
Et l'autre a le mal recent
De sa douleur amassée.

Toutesfois de mort attaint
Il n'a de rien empirée
La grand beauté de son taint
Des Nymphes tant desirée.

Mais comm' une rose blanche
De poignant' ongle touchée
Ne peult tenir sur sa branche
Et sur un' autre est couchée

Ainsi le piteus amant
Tenoit sa test' appuyée,
Comm' il souloit en dormant
Sur sa maistress' ennuyée.

 Et ne fut le sang qui sort
De la partie entamée,
Elle penseroit qu'il dort
A sa grace tant aymée.

Autant de sang qu'il espand
Dessus l'herbe coulourée,
Autant de larmes espand
La povr' Amant' esplorée.

Le sang rougit mainte fleur
Qui blanch' estoit autour née,
Et maint' est de large pleur
En couleur blanche tournée.

Ce taint leur demourera
Pour enseigne de durée
Tant que le monde sera
De leur grand peine endurée.

La vindrent de tous les boys
Oyseaus à grand' assemblée,
Monstrant à leur triste voix
Combien leur joye est troublée.

°°°°°°°°°°°

SAINT GELAIS Mellin de

J'ay cherché la science
De prendre patience,
Mais cest' experience
N'a gueri ma blessure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

J'ay voulu faire preuve
D'entrer en amour neufve,
Mais toujours je me treuve
La premiere pointure.       (= "blessure")
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

Et si vous de fortune
Aimez personn' aucune,
Ce n'en peut estre qu'une,
De celeste nature.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

Si vous sçaviez ma dame
La force de ma flamme,
Vous tiendriez à grand blasme
N'en avoir soing ne cure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

Cela rompt l'esperance
A mon insufisance
De voir en sa puissance
Si heureuse aventure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

Cependant ma destresse
Ne prendra fin ne cesse
Que par vous ma maistresse
Ou par ma sepulture.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?

 

 

Ce texte sans titre est conservé dans trois manuscrits et n'a jamais été imprimé. Il a été mis en musique par Pierre Certon ("Premier livre", Paris, 1552) et par Roland de Lassus ("Premier livre", Anvers, 1564).

SAINT GELAIS Mellin de

Puis que vivr' en servitute
Je devois trist' et dolent,
Bienheureus je me repute
D'estr' en lieu si excellent.
Mon mal est bien violent,
Mais Amour l'ordonn' ainsi,
Veuillez en avoir mercy.

Vostre beauté sans pareille
Ne doit prendr' à desplaisir,
S'à l'aymer je m'apareille,
Car on ne mieus choisir.
Si j'ay par trop de desir,
J'ay beaucoup de foy aussi,
Veuillez en avoir mercy.

Vous seul' estes ma fortune
Qui va mon bien mesurant,
Si vous m'estes opportune,
Peu me chaut du demeurant.
Sans vous je vis en mourant
Et m'est le jour obscurcy,
Veuillez en avoir mercy.

Autre bien ne veus pretendre
Pour mes plaintes et clameurs,
Sinon que vueillez entendre
Que c'est pour vous que je meurs.
En mes yeus n'a plus de pleurs,
Et mon coeur est ja transi,
Veuillez en avoir mercy.

Si l'on portoit la pensée
Au front comme on fait les yeus,
M'amour seroit dispensée
De son offic' ennuyeux :
Par vousmesmes congnoistriez mieus
Mon travail et mon soucy,
Veuillez en avoir mercy.

Au coeur des bestes sauvages
Rigueur loge proprement,
Mais sur les humains ouvrages
Amour a commandement.
Et toutesfois en tourment
Me tient le vostre endurcy,
Veuillez en avoir mercy.

Plus cruelle et plus doubtable (= "redoutable")
L'on vous pourroit estimer
Que nulle beste indomptable
De la terre ou de la mer.
Si vous laissez consommer
Mon coeur en ce malheur-cy
Veuillez en avoir mercy.

Mais plus aymable
Amour vous fera nommer
Que la Deesse amyable
Qui print naissance en la mer.
Si vous me voulez aymer
Et voir mon mal adoucy,
Veuillez en avoir mercy.

Ce vous est peu de conqueste
D'aller ma fin poursuyvant,
Bien vous seroit plus honneste
Sauver le vostre servant,
Un qui pourroit en vivant
Vostre nom rendr' esclarcy,
Veuillez en avoir mercy.

Ce texte sans titre ne fut pas publié et survit dans trois manuscrits. Il eut un immense succès au XVIè S., puisqu'il fut mis en musique par Pierre Sandrin en 1548, et réédité longtemps après. Pierre Certon reprit la version de Sandrin dans son "Premier livre" de 1552. Roland de Lassus en fit également une version en 1584.

SAINT-GELAIS, Mellin de (MAROT, Clément)

 Voyant ces monts de vue si lointaine,
 Je les compare à mon long desplaisir :
 Haut est leur chef, et haut est mon desir,
 Leur pied est ferme, et ma foy est certaine.
 Là maint ruisseau coule et mainte fontaine ;
 De mes deux yeux sortent pleurs à loisir,
 De grands soupirs ne me puis dessaisir,
 Et des grands vents leur cime est toute plaine.
 Mille troupeaux prennent là leur pasture.
 Amour en moy prend vie et nourriture :
 J'ai peu d'effet et assez d'esperance.
 Là, sans grand fruit, feuilles ont apparence,
 Et d'eux à moy n'a qu'une difference,
 Qu'en eux la neige, en moy la flamme dure.

(Commentaires :)
Imité de Jacopo Sannazaro, ce sonnet (1539) est d'attribution discutée ;
il est disputé à Marot par Saint-Gelais, naturellement. (ROUBAUD)
Ce sonnet nous a été transmis en six rédactions manuscrites : celle du ms.1700, où il est attribué à Clément Marot ; celles  des  mss 2334 et 523 (anonymes) ; celles des mss C.P. 878 et 10.162, qui le groupent parmi les pièces en vers de Mellin de Saint-Gelais.
Il a été imprimé pour la première fois, à l'insu de l'auteur, dans l'édition de 1547 des 'uvres.  [...] À notre avis, incontestablement, la pièce est de Mellin de Saint-Gelais. Marot n'en a jamais revendiqué la paternité. [...] Le modèle est le sonnet de Sannazar Simile a questi smisurati monti [...] imprimé pour la première fois dans la Giunta aux Rime en 1531 (Venise, Niccolò d'Aristotele). (ZILLI)

 
SAINT-GELAIS, Mellin de, "AU SEIGNEUR DES ESSARS, N. DE HERBERAY,
 TRADUCTEUR DU PREMIER LIVRE D'AMADIS DE GAULE"

 
Au grand desir, à l'instante requeste
 De tant d'amys dont tu peux disposer,
 Voudrois tu bien (ô amy) t'opposer
 Par un refus de chose treshonneste ?
 Chascun te prie, et je t'en admoneste,
 Que l'Amadis qu'il t'a plu exposer
 Veuilles permettre et au monde exposer
 Car par tels faicts gloire et honneur s'acqueste.
 Estimes tu que Caesar ou Camille
 Doivent le cours de leur claire memoire
 Au nombre, au fer, à ciseau ou enclume ?
 Toute statue ou medaille est fragille
 Au fil des ans, mais la durable gloire
 Vient de ta main docte et bien disant plume.

 (Commentaire de L. ZILLI :)
 Ce sonnet est sans aucun doute de l'invention de notre auteur. Cinq années auparavant, en 1539, Nicolas Herberay avait  témoigné de son estime à l'égard de Saint-Gelais en lui dédiant la traduction française du Tractade de amores de Arnalte y Lucenda de Diego de San Pedro (parue sous le titre de Petit traité de Arnalte et Lucenda, Paris, Jean Longin, 1540).

SAINT-GELAIS, Mellin de, "A une dame"

 Au temps heureux que ma jeune ignorance
 Reçut l'enfant qui des dieux est le maistre,
 Vous cognoissant qu'il ne faisoit que naistre,
 Voulustes bien le nourrir d'esperance.
 Mais puisque vous et sa perseverance
 L'avez fait grand plus qu'autre onc ne peut estre,
 Au lieu d'espoir vous le laissez repaistre
 Seul à part luy de mon mal et souffrance.
 Ne pour essay que je fasse, ou effort,
 Possible m'est l'oster de sa demeure
 Car plus que moy il est devenu fort.
 Maugré moy donc il faut qu'il y demeure,
 Mais maugré luy aussy ay ce confort
 Qu'il sortira au moins mais que je meure.

 Commentaire de L. ZILLI :
 Première impression en 1542. Ce sonnet n'a jamais été attribué à Saint-Gelais. [...] Saint-Gelais reprend l'incipit du sonnet au vers 4 du seizain "Quand le printemps commence à revenir" avec la petite variante "Du temps heureux que ma jeune ignorance."
 Le sonnet est sans doute de l'invention de Saint-Gelais, quoique le premier vers rappelle la chanson XXIII des Rime de  Pétrarque Nel dolce tempo de la prima etade. [...] Il fut composé avant 1542 [et] imprimé cette année-là avec d'autres pièces de notre auteur toujours anonymes dans La "Fleur de Poësie françoyse", Paris, Alain Lotrian, 1542. (ZILLI)





LOUISE LABE (avant 1524- 1566)


Celle qui fut surnommée la " Belle Cordière " (parce que fille et femme de cordier) 
Est entrée rapidement dans la légende. Très cultivée comme certaines dames lyonnaise et apprit à jouer de la musique et composa en français et en italien. Elle était la reine d'une petite société brillante qui admirait son esprit et sa beauté.

 

Louise LABE (1522-1566)


Sonnet XIV

Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toy regretter :
Et qu'aus sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre,

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

Je ne souhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassee, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Priray la Mort noircir mon plu cler jour.
Oeuvres (1555)



II 

Oh beaux yeux bruns, ô regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues
O jours luisans vainement retournez :

O tristes pleins, ô desirs obstinez,
O tems perdus, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pire maus contre moy destinez :

O ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits :
O lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !

De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d'endrois d'iceus mon cœur tatant,
N'en est sur toy volé quelque estincelle.



IV

Depuis qu'Amour cruel empoisonna
Premierement e son feu ma poitrine,
Toujours brulay de sa fureur divine
Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.

Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menasse et procheine ruine,
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon cœur ardent ne s'estonna.

Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ces combats fait estre :

Mais ce n'est pas quand rien nous favorise
Cil qui des Dieux et les hommes meprise :
Mais pour plus fort contre les fors paroitre.



VIII

Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'aye chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ay grans ennuis entremeslez de joie :

Tout à coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure : 
Mon bien s'en va,et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je croy ma joie estre certeine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

.............


Baise m'encor, rebaise-moi et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las, te plains-tu ? ça que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereux.
Ainsi mêlant nos baisers tant heureux
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m'Amour penser quelque folie :

Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moi ne fais quelque saillie.

...........


On voit mourir toute chose animée,
Lors que du corps l'âme subtile part :
Je suis le corps, toi la meilleure part :
Où es-tu donc, ô âme bien aimée ?

Ne me laissez pas si longtemps pâmée :
Pour me sauver après viendrais trop tard.
Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :
Rends-lui sa part et moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revue amoureuse,
L'accompagnant, non de sévérité,

Non de rigueur, mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à présent favorable.

...........


Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie :

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

...........


Oh, si j'étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m'empêchait envie :

Si m'accolant me disait : chère Amie,
Contentons-nous l'un l'autre ! s'assurant
Que jà tempête, Euripe, ni Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l'arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que, souef, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

...........


Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé,
Si j'ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes.
Si, en pleurant, j'ai mon temps consumé,

Las ! que mon nom n'en soit par vous blamé.
Si j'ai failli, les peines sont présentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcain excuser,
Sans la beauté d'Adonis accuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses,

En ayant moins que moi d'occasion,
Et plus d'étrange et forte passion.
Et gardez-vous d'être plus malheureuses !

Votez pour Louise

Texte anonyme publié avec sa musique dès 1535 dans le "Il primo
libro de le canzone francese" (4 voix), et repris dans un nouvel arrangement
par
Pierre Certon en 1570 (6 voix).


Le temps qui court requiert que l'on se taise,
Et que l'on rie quand on est en mal aise,
Dissimulant ce qu'on void et entend.
Demonstrer faut qu'on est du tout content, ("du tout" = "complètement")
Combien qu'on void chose qui point ne plaise.
Pour ce, je dis : qui veut vivr' à son aise
Taire ou bien dire de peur qu'il ne desplaise, (= "doit taire ou ...")
Car à flatter un chascun s'y entend.
Le temps qui court requiert que l'on se taise.


Je la connais la  ...

SAINT JEAN DE LA CROIX

(1542 - 1591)

Je la connais la source elle

coule, elle court

Mais c'est de nuît.

 

Dans la nuit obscure de cette vie

Je la connais la source, par la foi,

Mais c'est de nuit.

 

Je sais qu'il ne peut y avoir de chose plus belle

 Que ciel et terre y viennent boire,

Mais c'est de nuit.

 

Je sais que c'est un abîme sans fond

Et que nul ne peut la passer â gué,

Mais c'est de nuit.

 

Sa clarté jamais ne s'obscurcit

Et je sais que d'elle jaillit toute lumière,

 Mais c'est de nuit.

 

Cette source éternelle est cachée

Et ce pain vivant pour donner la vie,

Mais c'est de nuit.

 

De là elle appelle toutes créatures

Qui viennent boire dans son eau, dans l'ombre,

 Mais c'est de nuit.

 

Cette source vive de mon désir

En ce pain de vie, je la vois,

 Mais c'est de nuit.  

 

 &  &  &  &  &


PHILIPPE DESPORTES
(1546-1606)



Icare est chû ici le jeune audacieux
Qui pour voler au ciel eut assez de courage:
Ici tomba son corps dégarni de plumage,
Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux.

O bienheureux travail d'un esprit glorieux,
Qui tire si grand gain d'un si petit dommage!
O bienheureux malheur plein de tant d'avantage,
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux!

Un chemin si nouveau n'étonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse:
Il eut pour le brûler des astres le plus beau!

Il mourut poursuivant une haute aventure;
Le ciel fut son désir, le mer sa sépulture:
Est-il plus beau dessein, et plus riche tombeau?

 

 

 

Etienne De LA BOETIE (1530-1563)


Helas combien de jours, helas combien de nuicts.

Helas combien de jours, helas combien de nuicts
J'ay vescu loing du lieu, où mon cueur fait demeure !
C'est le vingtiesme jour que sans jour je demeure,
Mais en vingt jours j'ay eu tout un siecle d'ennuis.

Je n'en veux mal qu'à moy, malheureux que je suis,
Si je souspire en vain, si maintenant j'en pleure,
C'est que, mal-advisé, je laissay en mal'heure
Celle la que laisser nulle part je ne puis.

J'ay honte que desja ma peau decoulouree
Se voit par mes ennuis de rides labouree :
J'ay honte que desja les douleurs inhumaines

Me blanchissent le poil sans le congé du temps
Encor moindre je suis au compte de mes ans,
Et desja je suis vieux au compte de mes peines.

Vingt-neuf sonnets (1574)

 

 


Maint homme qui m'entend, lors qu'ainsi je la vante

Maint homme qui m'entend, lors qu'ainsi je la vante, 
N'ayant oncq rien pareil en nulle autre esprouvé, 
Pense, ce que j'en dis, que je l'aye trouvé, 
Et croit qu'à mon plaisir ces louanges j'invente.

Mais si rien de son los en sa faveur l'augmente, 
Si de mentir pour elle il m'est oncq arrivé, 
Je consens que je sois de son amour privé ; 
Je consens, si je mens, que mon espoir me mente.

Qui ne m'en croit, la voyë : il aura lors creance 
De plus que je n'en dis, d'autant comme j'en pense. 
Aussi, pour dire vray, ce n'est pas là le doute,

Si je la loue plus qu'elle n'a merité, 
Si je faulx en disant plus que la verité :
Le doute est si je faulx à ne la dire toute.

 

 

 

 

Etienne De LA BOETIE (1530-1563)


Ce jourd'hui, du soleil la chaleur altérée.

Ce jourd'hui, du soleil la chaleur altérée
A jauni le long poil de la belle Cérès ;
Ores, il se retire, et nous gagnons le frais,
Ma Marguerite et moi, de la douce soirée.
Nous traçons dans les bois quelque voie égarée ;
Amour marche devant, et nous marchons après,
Si le vert ne nous plaît des épaisses forêts,
Nous descendons pour voir la couleur de la prée.
Nous vivons francs d'émoi, et n ' avons point souci
Des rois, ni de la cour, ni des villes aussi.
O Médoc, mon pays solitaire et sauvage !
Il n'est point de pays plus plaisant à mes yeux
Tu es au bout du monde, et je t'en aime mieux :
Nous savons, après tous, les malheurs de notre âge.

 

 

 

Elle est malade, hélas.

Elle est malade, hélas ! que faut-il que je face ?
Quel confort ? Quel remede ? Ô cieux, et vous m'oyez
Et tandis devant vous ce dur mal vous voyez
Oultrager sans pitié la douceur de sa face !

Si vous l'ostez, cruelz, à ceste terre basse,
S'il faut d'elle là haut que riches vous soyez,
Au moins pensez à moy et, pour Dieu, m'ottroyez,
Qu'au moins tout d'une main Charon tous deux nous passe.

Ou s'il est, ce qu'on dit des deux freres d'Helene,
Que l'un pour l'autre au ciel, et là bas se promène,
Or accomplissez moy une pareille envie.

Ayez, ayez de moy, ayez quelque pitié,
Laissez nous, en l'honneur de ma forte amitié,
Moy mourir de sa mort, elle'vivre de ma vie.

Vingt-neuf sonnets (1574)


Pierre De RONSARD (1524-1585)


Comme un chevreuil.

Comme un chevreuil, quand le printemps détruit
Du froid hiver la poignante gelée,
Pour mieux brouter la feuille emmiellée
Hors de son bois avec l'aube s'enfuit,

Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit,
Or' sur un mont, or' dans une vallée,
Or près d'une onde à l'écart recelée,
Libre folâtre où son pied le conduit ;

De rets ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang ;

Ainsi j'allais sans espoir de dommage,
Le jour qu'un oil, sur l'avril de mon âge,
Tira d'un coup mille traits en mon flanc.

Les amours de Cassandre (1552)


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François de MALHERBE
1555-1628



Paraphrase du psaume CXLV
N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre ;
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris et ployer les genoux.
Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes,
Véritablement hommes,
Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers ;
Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,
Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre ;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs ;
Et tombent avec eux d'une chute commune
Tous ceux que leur fortune
Faisait leurs serviteurs.










 

 

Allez ! Pour tous ceux du XVI e siècle

 

 


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Dernière mise à jour : samedi 12 juin 2004