HERBERAY, Nicolas
de,
"AU LECTEUR, SONNET DE
HERBERAY", extr.
Le second livre de Amadis de Gaule ... par le
Seigneur des Essars, Nicolas
de Herberay (1541).
Benin lecteur, de jugement pourvu,
Quand tu verras l'invention gentille
De cet auteur, contente toy du stille
Sans t'enquerir s'il est vray ce qu'as lu.
Qui est celuy qui peut dire : j'ai vu
Blasmer Homere ou accuser Virgile
Pour n'estre vray ainsi que l'Evangile
En escrivant tout ce qu'il leur a plu ?
Quand Apelles nous a peint Jupiter
En Cygne blanc, Taureau ou autre beste,
Des Anciens il n'a esté repris.
Donc si tu vois en ce Livre imiter
L'Antiquité, loue l'effort honneste,
Car tout bon oeuvre est digne de bon prix.
ROUBAUD, Jacques, Soleil du
Soleil. Le sonnet français de Marot à
Malherbe, Paris, P.O.L., 1990,
ZILLI, Luigia, Mellin de Saint-Gelais. Sonnets,
Genève, Droz, 1990, LXII + 62 p. (num. 7-8)
MAROT, Clément, "... A MADAME DE
FERRARE"
Me souvenant de tes bontés divines
Suis en douleur, princesse en ton absence ;
Et si languis quand suis en ta présence
Voyant ce lys au milieu des espines.
O la douceur des douceurs feminines,
O cueur sans fiel, o race d'excellence,
O traitement remply de violence,
Qui s'endurcit pres des choses benignes.
Si seras tu de la main soutenue
De l'Eternel, comme sa chair tenue
Et tes nuisants auront honte et reproche.
Courage, dame, en l'air je vois la nue
Qui çà et là s'escarte et
diminue
Pour faire place au beau temps qui s'approche.
Quel âge pouvait bien avoir Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) lorsqu'il
écrivit ce huitain sur Saint Jérôme, huitain resté manuscrit jusqu'à nos
jours, et publié dans les "Oeuvres poétiques françaises" (Paris, STFM, 1995,
T. II, p. 76) ? Rien ne permet de le dire, mais il est plus que probable que
le poète n'était pas encore un "bon vieillard"...
En un Sainct Jherome
Ce bon vieillard qui bat sa coulpe
Me doibt recevoir de sa troupe
Car je batz à toute rigueur
La mienne à l'endroit de mon coeur
Pour la grand faute qu'il commit
Quant à un autre il se soubzmit
Si remply de rebellion
Que plus domptable est un lyon.
(vers 2 : comprendre : "dans sa troupe"
vers 8 : les représentations picturales de Saint Jérôme comprennent souvent
un lion parce qu'il fut ermite dans le désert)
En l'honneur du saint du jour, deux quatrains de Mellin de Saint-Gelais
(1491-1558) trouvés dans les "Oeuvres poétiques françaises", Paris, STFM,
1995, T. II, p. 10 et 23. Ce seront les derniers de la série.
[sans titre]
Quand vous verrez sainct François en paincture
D'un seraphin les playes recepvant,
Souvienne vous que plus forte poincture
Vous m'avez mis en l'ame et plus avant.
(vers 1 : "les playes" = "les stigmates"
vers 3 : "Souvenez vous que plus forte blessure").
En un Sainct François
J'ay veu sans songe et sans paincture
Une plus qu'ange et seraphin
Dont j'ay receu playe et poincture
Qui de ma vie sera fin.
commentaire de Roubaud :
Le premier sonnet composé par Marot date probablement
de l'été 1536.
Marot, en exil à Ferrare, s'était mis sous la
protection de Renée de France, fille de Louis XII et
cousine de François Ier ; c'est un poème de
consolation à la duchesse, en butte aux
persécutions de son mari, le duc de Ferrare.
Il est conservé dans un manuscrit dit manuscrit de
Chantilly, offert par Marot au connétable Anne de
Montmorency [...].
MAROT, Clément, "SONNET DE LA DIFFÉRENCE DU
ROY ET DE L'EMPEREUR"
L'un s'est vu
pris, non plusieurs fois, mais une,
En plein conflit, faisant aspres efforts ;
L'autre deux fois n'a eu courage, fors
Fuir de nuit, sans craindre honte aucune.
L'un fut en camp exemple de fortune,
L'autre un patron de vrays actes tres ords.
L'un par sa prise a perdu des tresors,
L'autre l'honneur, trop plus cher que pecunes.
L'un a fort bras, du pied l'autre est expert.
L'un veut user de puissance en appert,
L'autre en secret maux infinis conspire.
Quand tout est dit (pource qu'il vaut et sert) :
D'estre chez luy à croppir il dessert :
Et cestuy cy deust manier l'Empire.
(commentaire de Roubaud : )
Ce sonnet du manuscrit de Chantilly, composé avant
mars 1538, est resté inédit jusqu'au
XIXè s.
Il y est question de la lutte de François Ier contre
l'empereur Charles Quint ; une allusion faite à la
rançon du premier, et à une fuite du second
dont on ne sait rien.
MAROT,
Clément, "POUR LE MAY PLANTÉ PAR LES
IMPRIMEURS DE LYON DEVANT LE LOGIS DU SEIGNEUR TRIVULSE"
Au Ciel n'y a ne Planete ne Signe
Qui a si point su gouverner
l'Année
Comme est Lyon, la Cité,
gouvernée
Par toy, Trivulse, homme clair et
insigne.
Cela disons pour ta Vertu condigne
Et pour la joye entre nous
demenée
Dont tu nous as la liberté
donnée,
La Liberté des tresors le plus
digne.
Heureux Vieillard : les gros Tabours
tonnants,
Le May planté et les Fifres
sonnants
En vont louant toy et ta noble Race.
Or pense donc que sont nos
voulentés
Vu qu'il n'est rien, jusqu'aux Arbres
plantés,
Qui ne t'en loue et ne t'en rende grace.
|
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Clément !
|
commentaire de Roubaud :
Ce "premier sonnet imprimé" a été
publié pour la première fois dans
l'édition d'Étienne Dolet des Oeuvres, en
1538. Il figure dans le second livre des
Epigrammes.
MAROT, Clément, "VOY
CHI ASCOLTATE IN RYME SPARSE IL SUONO"
Vous qui oyez en mes
rimes le son
D'iceux soupirs dont mon cueur nourissoie
Lors qu'en erreur ma jeunesse passoie
N'estant pas moy, mais bien d'autre façon.
De vains travaux dont fis rime et chanson
Trouver m'attends (mais qu'on les lise et voie)
Non pitié seule ains excuse en la voie
Où l'on cognoist Amour, ce faux
garçon.
Si vois je bien maintenant et entends
Que longtemps fus au peuple passetemps,
Dont a par moy honte le cueur me ronge.
Ainsi le fruit de mon vain exercice
C'est repentance avec honte et notice
Que ce qui plaist au monde n'est que songe.
Commentaire de Roubaud :
Ce sonnet, tiré
des "six sonnets de Pétrarque sur la mort de sa dame
Laure, traduictz en françois", date vraisemblablement
de 1539, comme les suivants.
MAROT, Clément, "O
PASSY SPARSY O PENSIER VAGHI E PROMPTI"
O pas espars, ô
pensées soudaines
O aspre ardeur, ô memoire tenante,
O cueur debile, ô volonté puissante,
O vous, mes yeux, non plus yeux, mais fontaines,
O branche, honneur des vainqueurs capitaines,
O seule enseigne aux poetes duisante,
O douce erreur qui sous vie cuisante
Me fait aller cherchant et monts et plaines.
O beau visage où Amour met la bride
Et l'esperon dont il me poinct et guide
Comme il luy plaist, et deffense y est vaine.
O gentils cueurs et ames amoureuses,
S'il en fut onc, et vous ombres paoureuses,
Arrestez vous pour voir quelle est ma peine.
|
Destiné à la surdité, il décide de se consacrer à
l'étude et aux Lettres. Entouré de poètes, ami
Des princes, le Chef de l'École de la Pléiade mènera l'heureuse
existence d'un poète de cour comblé d'amours et de gloire. Renié,
puis oublié pendant deux siècles, il a aujourd'hui retrouvé sa place,
qui est de premier rang.
(Recueil : Second livre des Amours)
Je ne suis seulement amoureux de Marie
Je ne suis seulement amoureux de Marie,
Anne me tient aussi dans les liens d'Amour,
Ore l'une me plaît, ore l'autre à son tour :
Ainsi Tibulle aimait Némésis, et Délie.
On me dira tantôt que c'est une folie
D'en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour,
Voire, et qu'il faudrait bien un homme de séjour,
Pour, gaillard, satisfaire à une seule amie.
Je réponds à cela, que je suis amoureux,
Et non pas jouissant de ce bien doucereux,
Que tout amant souhaite avoir à sa commande.
Quant à moi, seulement je leur baise la main,
Les yeux, le front, le col, les lèvres et le sein,
Et rien que ces biens-là d'elles je ne demande.
(Recueil : Premier livre des Amours)
Ce beau corail, ce marbre qui soupire
Ce beau corail, ce marbre qui soupire,
Et cet ébène ornement du sourcil,
Et cet albâtre en voûte raccourci,
Et ces saphirs, ce jaspe et ce porphyre,
Ces diamants, ces rubis qu'un Zéphyre
Tient animés d'un soupir adouci,
Et ces oeillets, et ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or même se mire,
Me sont au coeur en si profond émoi,
Qu'un autre objet ne se présente à moi,
Sinon, le beau de leur beau que j'adore,
Et le plaisir qui ne se peut passer
De les songer, penser et repenser,
Songer, penser et repenser encore.
(Recueil : Second livre des Amours)
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !
Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.
Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,
Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !
...........
Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Qu'une rose de mai, vous avez les cheveux
De couleur de châtaigne, entrefrisés de noeuds,
Gentement tortillés tout autour de l'oreille.
Quand vous étiez petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son doux miel savoureux,
Amour laissa ses traits dans vos yeux rigoureux,
Pithon vous fit la voix à nulle autre pareille.
Vous avez les tétins comme deux monts de lait,
Qui pommellent ainsi qu'au printemps nouvelet
Pommellent deux boutons que leur châsse environne.
De Junon sont vos bras, des Grâces votre sein,
Vous avez de l'Aurore et le front, et la main,
Mais vous avez le coeur d'une fière lionne.
Sonnets pour Hélène
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
.......... A Cupidon
Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre.
L'Autonne suit l'Esté,
Et l'aspre rage
Des vents n'a point esté
Apres l'orage.
Mais la fièvre d'amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours,
Et ne s'alente.
Ce n'estoit pas moy, Dieu,
Qu'il falloit poindre,
Ta fleche en autre lieu
Se devoit joindre.
Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu'aime la Muse.
Helas, delivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d'esmoy
Voit que j'endure.
Redonne la clarté
A mes tenebres,
Remets en liberté
Mes jours funebres.
Amour sois le support
De ma pensée,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.
Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m'escoute.
Ne ma palle couleur
D'amour blesmie
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie.
Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.
Plus cruel n'est l'effort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus fort
Le vent s'obstine.
Ell' s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La récompense.
Monstre toy le veinqueur,
Et d'elle enflame
Pour exemple le coeur
De telle flame,
Qui la soeur alluma
Trop indiscrete,
Et d'ardeur consuma
La Royne en Crete.
...........
À la forêt de Gastine
Couché sous tes ombrages verts,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers
La forêt d'Érymanthe :
Car, malin, celer je ne puis
À la race future
De combien obligé je suis
À ta belle verdure,
Toi qui, sous l'abri de tes bois,
Ravi d'esprit m'amuses ;
Toi qui fais qu'à toutes les fois
Me répondent les Muses ;
Toi par qui de l'importun soin
Tout franc je me délivre,
Lorsqu'en toi je me perds bien loin,
Parlant avec un livre.
Tes bocages soient toujours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naïades !
En toi habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flamme sacrilège !
...........
Amourette
Or que l'hiver roidit la glace épaisse,
Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,
Non accroupis près le foyer cendreux,
Mais aux plaisirs des combats amoureux.
Assisons-nous sur cette molle couche.
Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,
Pressez mon col de vos bras dépliés,
Et maintenant votre mère oubliez.
Que de la dent votre tétin je morde,
Que vos cheveux fil à fil je détorde.
Il ne faut point, en si folâtres jeux,
Comme au dimanche arranger ses cheveux.
Approchez donc, tournez-moi votre joue.
Vous rougissez ? il faut que je me joue.
Vous souriez : avez-vous . point ouï
Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?
Je vous disais que la main j'allais mettre
Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?
Ne fuyez pas sans parler : je vois bien
A vos regards que vous le voulez bien.
Je vous connais en voyant votre mine.
Je jure Amour que vous êtes si fine,
Que pour mourir, de bouche ne diriez
Qu'on vous baisât, bien que le désiriez ;
Car toute fille, encor' qu'elle ait envie
Du jeu d'aimer, désire être ravie.
Témoin en est Hélène, qui suivit
D'un franc vouloir Pâris, qui la ravit.
Je veux user d'une douce main-forte.
Hà ! vous tombez, vous faites jà la morte.
Hà ! quel plaisir dans le coeur je reçois !
Sans vous baiser, vous moqueriez de moi
En votre lit, quand vous seriez seulette.
Or sus ! c'est fait, ma gentille brunette.
Recommençons afin que nos beaux ans
Soient réchauffés de combats si plaisants.
...........
Dans le serein de sa jumelle flamme
Dans le serein de sa jumelle flamme
Je vis Amour, qui son arc débandait,
Et sur mon coeur le brandon épandait,
Qui des plus froids les moelles enflamme.
Puis çà puis là près les yeux de ma dame
Entre cent fleurs un rets d'or me tendait,
Qui tout crépu blondement descendait
A flots ondés pour enlacer mon âme.
Qu'eussé-je fait ? l'Archer était si doux,
Si doux son feu, si doux l'or de ses noeuds,
Qu'en leurs filets encore je m'oublie :
Mais cet oubli ne me tourmente point,
Tant doucement le doux Archer me point,
Le feu me brûle, et l'or crêpe me lie.
...........
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !
Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.
Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,
Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !
...........
Mignonne, allons voir si la rose
A Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
...........
Ores l'effroi et ores l'espérance
Ores l'effroi et ores l'espérance
De tous côtés se campent en mon coeur :
Ni l'un ni l'autre au combat n'est vainqueur,
Pareils en force et en persévérance.
Ores douteux, ores pleins d'assurance,
Entre l'espoir et le froid de la peur,
Heureusement de moi-même trompeur,
Au coeur captif je promets délivrance.
Verrai-je point avant mourir le temps,
Que je tondrai la fleur de son printemps,
Sous qui ma vie à l'ombrage demeure ?
Verrai-je point qu'en ses bras enlacé,
Recru d'amour, tout pantois et lassé,
D'un beau trépas entre ses bras je meure ?
...........
Pour son tombeau
Ronsard repose icy qui hardy dés enfance
Détourna d'Helicon les Muses en la France,
Suivant le son du luth et les traits d'Apollon :
Mais peu valut sa Muse encontre l'eguillon
De la mort, qui cruelle en ce tombeau l'enserre.
Son ame soit à Dieu, son corps soit à la terre.
...........
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie
...........
Te regardant assise auprès de ta cousine
Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.
La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil.
Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.
Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.
Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.
J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,
Craignant que mon salut n'eût ton oeil offencé.
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Joachim du Bellay (1522-1560)
Je hais plus que
la mort un jeune casanier,
Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de fêtes,
Et craignant plus le jour qu'une sauvage bête,
Se fait en sa maison lui-même prisonnier.
Mais je ne puis aimer un vieillard voyager,
Qui court deçà, delà, et jamais ne s'arrête,
Ainsi, des pieds moins léger que léger de la tête,
Ne séjourne jamais non plus qu'un messager.
L'un sans se travailler en sûreté demeure,
L'autre, qui n'a de repos jusques à tant qu'il meure,
Traverse nuit et jour mille lieux dangereux;
L'un passe riche et sot heureusement sa vie,
L'autre, plus souffreteux qu'un pauvre qui mendie,
S'acquiert en voyageant un savoir malheureux.
............
(Recueil : Les Regrets)
France, mère des arts, des armes et des lois
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
C'était ores, c'était qu'à moi je devais vivre.
C'était ores, c'était qu'à moi je devais vivre,
Sans vouloir être plus que cela que je suis,
Et qu'heureux je devais de ce peu que je puis
Vivre content du bien de la plume et du livre.
Mais il n'a plu aux dieux me permettre de suivre
Ma jeune liberté, ni faire que depuis
Je vécusse aussi franc de travaux et d'ennuis,
Comme d'ambition j'étais franc et délivre.
Il ne leur a pas plu qu'en ma vieille saison
Je susse quel bien c'est de vivre en sa maison,
De vivre entre les siens sans crainte et sans envie :
Il leur a plu (hélas) qu'à ce bord étranger
Je visse ma franchise en prison se changer,
Et la fleur de mes ans en l'hiver de ma vie.
Les regrets (1558)
- Heureux qui comme
Ulysse
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.
...........
Malheureux l'an, le mois, le
jour, l'heure et le point
Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j'abandonnai la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.
Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon cœur me donnait assez signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire :
Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,
N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?
...........
Cent fois plus qu'à louer on
se plaît à médire
Cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire :
Pour ce qu'en médisant on dit la vérité,
Et louant, la faveur, ou bien l'autorité,
Contre ce qu'on en croit, fait bien souvent écrire.
Qu'il soit vrai, pris-tu onc tel plaisir d'ouïr lire
Les louanges d'un prince ou de quelque cité,
Qu'ouïr un Marc Antoine à mordre exercité
Dire cent mille mots qui font mourir de rire ?
S'il est donques permis, sans offense d'aucun,
Des moeurs de notre temps deviser en commun,
Quiconque me lira m'estime fol ou sage :
Mais je crois qu'aujourd'hui tel pour sage est tenu,
Qui ne serait rien moins que pour tel reconnu,
Qui lui aurait ôté le masque du visage.
Baiser
Quand ton col de couleur rose
Se donne à mon embrassement
Et ton oeil languit doucement
D'une paupière à demi close,
Mon âme se fond du désir
Dont elle est ardemment pleine
Et ne peut souffrir à grand'peine
La force d'un si grand plaisir.
Puis, quand s'approche de la tienne
Ma lèvre, et que si près je suis
Que la fleur recueillir je puis
De ton haleine amboisienne,
Quand le soupir de ces odeurs
Où nos deux langues qui se jouent
Moitement folâtrent et nouent,
Eventent mes douces ardeurs,
Il me semble être assis à table
Avec les dieux, tant je suis heureux,
Et boire à longs traits savoureux
Leur doux breuvage délectable.
Si le bien qui au plus grand bien
Est plus prochain, prendre ou me laisse,
Pourquoi me permets-tu, maîtresse,
Qu'encore le plus grand soit mien?
As-tu peur que la jouissance
D'un si grand heur me fasse dieu?
Et que sans toi je vole au lieu
D'éternelle réjouissance?
Belle, n'aie peur de cela,
Partout où sera ta demeure,
Mon ciel, jusqu'à tant que je meure,
Et mon paradis sera là.
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Second livre des
Amours
Pierre Ronsard
(1524-1585)
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Ha ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et les flancs de m'amie !
Las ! il n'est pas si soigneux de sa vie
Comme elle pense, il est méchant et fin :
Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.
Vous qui avez de sa fièvre le soin,
Je vous supplie de me chasser bien loin
Ce médecin, amoureux de m'amie,
Qui fait semblant de la venir panser :
Que plût à Dieu, pour l'en récompenser,
Qu'il eût mon mal, et qu'elle fût guérie !
Je vous envoie un bouquet.
Je vous envoie un bouquet que main
Vient de trier de ces fleurs épanies ;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront, toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
Pour c'aimez-moi cependant qu'êtes belle.
Pièces retranchées des amours (1578)
°°°°°°°°°°
SAINT GELAIS,
Mellin de
Cette
"Deploration de Venus sur la mort du bel Adonis",
d'inspiration italienne, figure dans deux manuscrits et deux
sources imprimées ("Deploration...", Lyon, 1545 et
"Saingelais. Oeuvres", Lyon 1547). Elle fut mise en musique
par Pierre Certon ("Premier livre de chansons", Paris, 1552)
et reprise par deux autres musiciens.
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Laissez la verde couleur
O princesse Cytherée,
Et de nouvelle douleur
Vostre beauté soit parée.
Pleurez le fils de Myrrha
Et sa dure destinée :
Vostr' oeil plus ne le verra
Car sa vi est terminée.
Venus à ceste nouvelle
Remplit toute la valée
D'une complainte mortelle,
Et au lieu s'en est alée
Où le gentil Adonis
Estendu sur la rosée
Avoit ses beaus yeux ternis
Et de sang l'herb' arrousée.
Dessouz une verte branche
Auprez de luy s'est couchée
Et de sa belle main blanche
Sa playe luy a touchée.
O nouvelle cruauté
De voir en pleurs si baignée
La déesse de beauté
D'amy mort acompagnée.
L'un est blessé et transfix
Aux flans par best' incensée,
Et l'autre l'est de son filz
Bien avant dans la pensée.
Mais l'un sa playe ne sent,
Personne ja trespassée,
Et l'autre a le mal recent
De sa douleur amassée.
Toutesfois de mort attaint
Il n'a de rien empirée
La grand beauté de son taint
Des Nymphes tant desirée.
Mais comm' une rose blanche
De poignant' ongle touchée
Ne peult tenir sur sa branche
Et sur un' autre est couchée
Ainsi le piteus amant
Tenoit sa test' appuyée,
Comm' il souloit en dormant
Sur sa maistress' ennuyée.
Et ne fut le sang qui sort
De la partie entamée,
Elle penseroit qu'il dort
A sa grace tant aymée.
Autant de sang qu'il espand
Dessus l'herbe coulourée,
Autant de larmes espand
La povr' Amant' esplorée.
Le sang rougit mainte fleur
Qui blanch' estoit autour née,
Et maint' est de large pleur
En couleur blanche tournée.
Ce taint leur demourera
Pour enseigne de durée
Tant que le monde sera
De leur grand peine endurée.
La vindrent de tous les boys
Oyseaus à grand' assemblée,
Monstrant à leur triste voix
Combien leur joye est troublée.
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SAINT
GELAIS Mellin de
J'ay cherché la science
De prendre patience,
Mais cest' experience
N'a gueri ma blessure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
J'ay voulu faire preuve
D'entrer en amour neufve,
Mais toujours je me treuve
La premiere pointure. (=
"blessure")
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
Et si vous de fortune
Aimez personn' aucune,
Ce n'en peut estre qu'une,
De celeste nature.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
Si vous sçaviez ma dame
La force de ma flamme,
Vous tiendriez à grand blasme
N'en avoir soing ne cure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
Cela rompt l'esperance
A mon insufisance
De voir en sa puissance
Si heureuse aventure.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
Cependant ma destresse
Ne prendra fin ne cesse
Que par vous ma maistresse
Ou par ma sepulture.
Quelle pein' est plus dure
Que celle que j'endure ?
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Ce texte
sans titre est conservé dans trois manuscrits et n'a
jamais été imprimé. Il a
été mis en musique par Pierre Certon ("Premier
livre", Paris, 1552) et par Roland de Lassus ("Premier
livre", Anvers, 1564).
SAINT
GELAIS Mellin de
Puis que vivr' en servitute
Je devois trist' et dolent,
Bienheureus je me repute
D'estr' en lieu si excellent.
Mon mal est bien violent,
Mais Amour l'ordonn' ainsi,
Veuillez en avoir mercy.
Vostre beauté sans pareille
Ne doit prendr' à desplaisir,
S'à l'aymer je m'apareille,
Car on ne mieus choisir.
Si j'ay par trop de desir,
J'ay beaucoup de foy aussi,
Veuillez en avoir mercy.
Vous seul' estes ma fortune
Qui va mon bien mesurant,
Si vous m'estes opportune,
Peu me chaut du demeurant.
Sans vous je vis en mourant
Et m'est le jour obscurcy,
Veuillez en avoir mercy.
Autre bien ne veus pretendre
Pour mes plaintes et clameurs,
Sinon que vueillez entendre
Que c'est pour vous que je meurs.
En mes yeus n'a plus de pleurs,
Et mon coeur est ja transi,
Veuillez en avoir mercy.
Si l'on portoit la pensée
Au front comme on fait les yeus,
M'amour seroit dispensée
De son offic' ennuyeux :
Par vousmesmes congnoistriez mieus
Mon travail et mon soucy,
Veuillez en avoir mercy.
Au coeur des bestes sauvages
Rigueur loge proprement,
Mais sur les humains ouvrages
Amour a commandement.
Et toutesfois en tourment
Me tient le vostre endurcy,
Veuillez en avoir mercy.
Plus cruelle et plus doubtable (= "redoutable")
L'on vous pourroit estimer
Que nulle beste indomptable
De la terre ou de la mer.
Si vous laissez consommer
Mon coeur en ce malheur-cy
Veuillez en avoir mercy.
Mais plus aymable
Amour vous fera nommer
Que la Deesse amyable
Qui print naissance en la mer.
Si vous me voulez aymer
Et voir mon mal adoucy,
Veuillez en avoir mercy.
Ce vous est peu de conqueste
D'aller ma fin poursuyvant,
Bien vous seroit plus honneste
Sauver le vostre servant,
Un qui pourroit en vivant
Vostre nom rendr' esclarcy,
Veuillez en avoir mercy.
Ce
texte sans titre ne fut pas publié et survit dans
trois manuscrits. Il eut un immense succès au
XVIè S., puisqu'il fut mis en musique par Pierre
Sandrin en 1548, et réédité longtemps
après. Pierre Certon reprit la version de Sandrin
dans son "Premier livre" de 1552. Roland de Lassus en fit
également une version en 1584.
SAINT-GELAIS, Mellin de
(MAROT, Clément)
Voyant ces monts de vue si lointaine,
Je les compare à mon long desplaisir :
Haut est leur chef, et haut est mon desir,
Leur pied est ferme, et ma foy est certaine.
Là maint ruisseau coule et mainte fontaine
;
De mes deux yeux sortent pleurs à loisir,
De grands soupirs ne me puis dessaisir,
Et des grands vents leur cime est toute plaine.
Mille troupeaux prennent là leur pasture.
Amour en moy prend vie et nourriture :
J'ai peu d'effet et assez d'esperance.
Là, sans grand fruit, feuilles ont
apparence,
Et d'eux à moy n'a qu'une difference,
Qu'en eux la neige, en moy la flamme dure.
(Commentaires :)
Imité de Jacopo Sannazaro, ce sonnet (1539) est
d'attribution discutée ;
il est disputé à Marot par Saint-Gelais,
naturellement. (ROUBAUD)
Ce sonnet nous a été transmis en six
rédactions manuscrites : celle du ms.1700, où
il est attribué à Clément Marot ;
celles des mss 2334 et 523 (anonymes) ; celles
des mss C.P. 878 et 10.162, qui le groupent parmi les
pièces en vers de Mellin de Saint-Gelais.
Il a été imprimé pour la
première fois, à l'insu de l'auteur, dans
l'édition de 1547 des 'uvres. [...] À
notre avis, incontestablement, la pièce est de Mellin
de Saint-Gelais. Marot n'en a jamais revendiqué la
paternité. [...] Le modèle est le sonnet de
Sannazar Simile a questi smisurati monti [...]
imprimé pour la première fois dans la Giunta
aux Rime en 1531 (Venise, Niccolò d'Aristotele).
(ZILLI)
SAINT-GELAIS, Mellin de,
"AU SEIGNEUR DES ESSARS, N. DE HERBERAY,
TRADUCTEUR DU PREMIER LIVRE D'AMADIS DE GAULE"
Au grand desir, à l'instante
requeste
De tant d'amys dont tu peux disposer,
Voudrois tu bien (ô amy) t'opposer
Par un refus de chose treshonneste ?
Chascun te prie, et je t'en admoneste,
Que l'Amadis qu'il t'a plu exposer
Veuilles permettre et au monde exposer
Car par tels faicts gloire et honneur s'acqueste.
Estimes tu que Caesar ou Camille
Doivent le cours de leur claire memoire
Au nombre, au fer, à ciseau ou enclume ?
Toute statue ou medaille est fragille
Au fil des ans, mais la durable gloire
Vient de ta main docte et bien disant plume.
(Commentaire de L. ZILLI :)
Ce sonnet est sans aucun doute de l'invention de notre
auteur. Cinq années auparavant, en 1539, Nicolas
Herberay avait témoigné de son estime
à l'égard de Saint-Gelais en lui
dédiant la traduction française du Tractade de
amores de Arnalte y Lucenda de Diego de San Pedro
(parue sous le titre de Petit traité de Arnalte et
Lucenda, Paris, Jean Longin, 1540).
SAINT-GELAIS, Mellin de, "A
une dame"
Au temps heureux
que ma jeune ignorance
Reçut l'enfant qui des dieux est le
maistre,
Vous cognoissant qu'il ne faisoit que naistre,
Voulustes bien le nourrir d'esperance.
Mais puisque vous et sa perseverance
L'avez fait grand plus qu'autre onc ne peut estre,
Au lieu d'espoir vous le laissez repaistre
Seul à part luy de mon mal et souffrance.
Ne pour essay que je fasse, ou effort,
Possible m'est l'oster de sa demeure
Car plus que moy il est devenu fort.
Maugré moy donc il faut qu'il y demeure,
Mais maugré luy aussy ay ce confort
Qu'il sortira au moins mais que je meure.
Commentaire de L. ZILLI :
Première impression en 1542. Ce sonnet n'a
jamais été attribué à
Saint-Gelais. [...] Saint-Gelais reprend l'incipit du sonnet
au vers 4 du seizain "Quand le printemps commence
à revenir" avec la petite variante "Du temps heureux
que ma jeune ignorance."
Le sonnet est sans doute de l'invention de
Saint-Gelais, quoique le premier vers rappelle la chanson
XXIII des Rime de Pétrarque Nel dolce tempo de
la prima etade. [...] Il fut composé avant 1542 [et]
imprimé cette année-là avec d'autres
pièces de notre auteur toujours anonymes dans La
"Fleur de Poësie françoyse", Paris, Alain
Lotrian, 1542. (ZILLI)
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