Hiver
Non, ce n'est pas l'été, dans le jardin qui brille,
Où tu t'aimes de vivre, où tu ris, cœur d'enfant !
Où tu vas demander à quelque jeune fille,
Son bouquet frais comme elle et que rien ne défend.
Ce n'est pas aux feux blancs de l'aube qui t'éveille,
Qui rouvre à ta pensée un lumineux chemin,
Quand tu crois, aux parfums retrouvés de la veille,
Saisir déjà l'objet qui t'a dit : " A demain ! "
Non ! ce n'est pas le jour, sous le soleil d'où tombent
Les roses, les senteurs, les splendides clartés,
Les terrestres amours qui naissent et succombent,
Que tu dois me rêver pleurant à tes côtés :
C'est l'hiver, c'est le soir, près d'un feu dont la flamme
Éclaire le passé dans le fond de ton âme.
Au milieu du sommeil qui plane autour de toi,
Une forme s'élève ; elle est pâle ; c'est moi ;
C'est moi qui viens poser mon nom sur ta pensée,
Sur ton cœur étonné de me revoir encor ;
Triste, comme on est triste, a-t-on dit, dans la mort,
A se voir poursuivi par quelque âme blessée,
Vous chuchotant tout bas ce qu'elle a dû souffrir,
Qui passe et dit : " C'est vous qui m'avez fait mourir ! "
Ma chambre
Ma demeure est haute,
Donnant sur les cieux ;
La lune en est l'hôte,
Pâle et sérieux :
En bas que l'on sonne,
Qu'importe aujourd'hui
Ce n'est plus personne,
Quand ce n'est plus lui !
Aux autres cachée,
Je brode mes fleurs ;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs ;
Le ciel bleu sans voiles ,
Je le vois d'ici ;
Je vois les étoiles
Mais l'orage aussi !
Vis-à-vis la mienne
Une chaise attend :
Elle fut la sienne,
La nôtre un instant ;
D'un ruban signée,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà !
Pourquoi ?
Quand vous suiviez ma trace,
J'allais avoir quinze ans,
Puis la fleur, puis la grâce,
Puis le feu du printemps.
J'étais blonde et pliante
Comme l'épi mouvant,
Et surtout moins savante
Que le plus jeune enfant.
J'avais ma douce mère,
Me guidant au chemin,
Attentive et sévère
Quand vous cherchiez ma main.
C'est beau la jeune fille
Qui laisse aller son cœur
Dans son regard qui brille
Et se lève au bonheur !
Vous me vouliez pour femme,
Je le jurais tout bas.
Vous mentiez à votre âme,
Moi, je ne mentais pas.
Si la fleur virginale
D'un brûlant avenir,
Si sa plus fraîche annale
N'ont pu vous retenir,
Pourquoi chercher ma trace
Quand je n'ai plus quinze ans,
Ni la fleur, ni la grâce,
Ni le feu du printemps ?
Refuge
Il est du moins au-dessus de la terre
Un champ d'asile où monte la douleur ;
J'y vais puiser un peu d'eau salutaire
Qui du passé rafraîchit la couleur.
Là seulement ma mère encor vivante
Sans me gronder me console et m'endort ;
O douce nuit, je suis votre servante :
Dans votre empire on aime donc encor !
Non, tout n'est pas orage dans l'orage ;
Entre ses coups, pour desserrer le coeur,
Souffle une brise, invisible courage,
Parfum errant de l'éternelle fleur !
Puis c'est de l'âme une halte fervente,
Un chant qui passe, un enfant qui s'endort.
Orage, allez ! je suis votre servante :
Sous vos éclairs Dieu me regarde encor !
Béni soit Dieu ! puisqu'après la tourmente,
Réalisant nos rêves éperdus,
Vient des humains l'infatigable amante
Pour démêler les fuseaux confondus.
Fidèle mort ! si simple, si savante !
Si favorable au souffrant qui s'endort !
Me cherchez-vous ? je suis votre servante :
Dans vos bras nus l'âme est plus libre encor
Solitude
Abîme à franchir seule, où personne, oh ! Personne
Ne touchera ma main froide à tous après toi ;
Seulement à ma porte, où quelquefois Dieu sonne,
Le pauvre verra, lui, que je suis encor moi,
Si je vis ! Puis, un soir, ton essor plus paisible
S'abattra sur mon cœur immobile, brisé
Par toi, mais tiède encor d'avoir été sensible
Et vainement désabusé !
Desbordes-Valmore (1786-1859)
(Recueils: fragments)
Regret
Des roses de Lormont la rose la plus belle,
Georgina, près des flots nous souriait un soir :
L'orage, dans la nuit, la toucha de son aile,
Et l'Aurore passa triste, sans la revoir !
Pure comme une fleur, de sa fragile vie
Elle n'a respiré que les plus beaux printemps.
On la pleure, on lui porte envie :
Elle aurait vu l'hiver ; c'est vivre trop de temps !
|
|