Dérisoire et dérision

Rien n'est jamais vraiment important,
Pas plus le bonheur que le tragique ;
Les sentiments font passer le temps,
En attendant l'instant fatidique.
 
Les cris de haine et les mots d'amour ?
Des exercices pour garder la forme
Que l'on pratique un peu chaque jour,
Peut-être pour ne pas que l'on s'endorme.
 
Mais vient un moment de lassitude
Où l'on veut jeter ses habitudes
Et se réfugier dans le silence.
 
On fait semblant d'être malheureux,
Et peut-être même l'est-on un peu,
Pour un vieux respect des convenances.
 


Autour du feu

Une brassée de bois et un air de guitare,
Notre habituel rendez-vous de couche-tard,
Autour d'un feu de camp nous rendait tous joyeux,
Comme les flammes et les notes au milieu.

Ces moments sont précieux, on le sait bien plus tard,
Quand on a rangé depuis longtemps les guitares,
Qu'il ne nous reste plus que la triste musique
De nos regrets, comme des refrains nostalgiques.

Mais il m'arrive parfois encore de chanter,
Dans ma tête, en silence, en pensant au passé,
De revoir, les yeux fermés, ces lointains souvenirs,
Ces fragments de pur bonheur et de leur sourire.

Une œuvre marine

Quelque part, dans un musée d'art contemporain,
Entre des statues de fer forgé et d'airain,
Trône une planche de bois aux formes torturées,
Vestige d'un navire depuis longtemps naufragé.
Une main, après l'eau, les vagues, les algues et le sel,
A ouvragé le relief frappé du label
De la création artistique originale
Par la pureté d'une technique artisanale.
Un minutieux grattage pour arrêter l'usure,
Oter les impuretés et la pourriture
Et laisser tout le reste à l'état naturel,
Sous du vernis pour une protection éternelle.
Ce morceau de bois flotté est une œuvre d'art.
Dans la galerie, elle attire tous les regards
Et les compliments à l'attention de l'artiste.
Dans la gaieté générale, un homme a l'air triste.
Il n'est ni amateur d'art ni grand créateur.
Pourtant, il a du mal à contenir ses pleurs.
Les autres voient la beauté, lui voit la souffrance
De ces marins noyés près des côtes de France.



Dans leurs yeux

Je hais ces milliers de miroirs
Qui m'obligent à voir mon image;
Déformée, réelle ? Je ne sais,
Mais je n'aime pas ce visage.
Je croise la foule, baissant les yeux
Pour ne pas subir ces regards,
Pour ne pas savoir ce qu'ils voient,
Tous ces maudits inquisiteurs,
Ces lubriques violeurs de mon âme.

Le mot philosophal

Les hommes ont tant parlé,
Chanté et puis crié,
Inventé des langages,
Sans jamais se comprendre.
Ils ont pourtant tenté,
Tout au long des années,
D'emprunter le chemin
Des cœurs et des esprits,
En trouvant le bon mot :
Fraternité, amour,
Dieu, argent, liberté
Et puis encore tant d'autres,
Aucun ne convenait
Pour une vraie communion.
Ils ont désespéré
De pouvoir découvrir
Le mot philosophal
Qui guérirait le mal ;
Alors ils se sont tus
Et ont enfin compris
Que le mot qu'ils cherchaient,
C'était le mot silence.

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Les menteurs

Par jeu, sollicitude, vice, intérêt,
Habitude, précaution, bêtise ou par peur,
Nous sommes tous, après l'enfance, des menteurs.
Nous fuyons loin de la vérité sans arrêt.
Mentir par plaisir, pour ne pas faire souffrir,
Pour torturer ou pour tricher, sans y penser,
Parce qu'on ne sait jamais, qu'on est insensé,
Parce que les lâches n'ont que ça à offrir.
Le mensonge est un art ; certains sont plus doués,
Mais, peu ou prou, nous sommes tous des artistes,
Virtuoses, médiocres, heureux, tristes.
Seulement, personne ne voudra l'avouer.

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L'intellectuel

Il veut être incompris
Pour paraître un génie,
Obscur et hermétique
Pour toiser les sceptiques,
Naviguer dans les brumes
Léger comme une enclume ;
Ne jamais s'expliquer
Ou se faire embarquer
Dans des débats futiles
Qui pourraient être utiles
Pour comprendre un peu mieux
Son esprit nébuleux.
Il a fini par croire
A sa grande victoire
Sur les gens ordinaires
Qui préfèrent se taire,
Ne pas le contredire
Quels que soient ses délires ;
Il saurait cependant
Que tous ces faux perdants,
S'il pouvait lire en eux,
Le trouvent ennuyeux
Et que c'est la raison
De sa péroraison
Laissée libre à souhait
Et très vite oubliée. 

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La perruque du Roi Soleil

Le Roi Soleil, poudré et perruqué de frais, 
Pensait : "si je m'aime autant, c'est que je plais 
Aussi à mes sujets, dévoués corps et âme 
A Ma Majesté, prêts à déclarer leur flamme, 
A me jurer aveuglément obéissance 
Et à célébrer toujours ma magnificence.." 
Sûr de lui, le Roi demanda donc son avis 
Au petit peuple, de la province à Paris, 
Attendant sereinement tous les compliments 
Qui ne manqueraient pas sur son accoutrement. 
Mais au lieu du cortège d'éloges serviles, 
Vinrent quelques critiques mesquines et viles ! 
"Sire, votre perruque est un peu de travers..." 
Comment !!! Ces ignorants, ces rustres, ces pervers, 
A qui l'astre du royaume avait fait la grâce 
De les laisser s'exprimer, avaient l'audace 
De douter, de critiquer et de blasphémer !!! 
Non! Cela le Roi ne le permettrait jamais! 
Il promulgua sur le champ un décret royal 
Menaçant du terrible supplice du pal 
Quiconque, du noble au serf, ne porterait pas, 
A son image, ce ridicule apparat ! 
Il fit décapiter, pour frapper les esprits, 
Son perruquier et quelques uns des malappris... 
En fait la totalité du royaume ! 
A la fin, il ne resta vraiment plus personne, 
Que le roitelet, seul devant son miroir, 
Admirant son reflet du matin jusqu'au soir.

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La dictature de la mode

Habitués des maisons de haute imposture
Ou clients des boutiques de prêt à penser,
Ils applaudissent les dernières créations
De tous ceux qui façonnent la mode et le goût,
Les stylistes et grands couturiers des idées.
Politiques, philosophes ou journalistes,
Toute la cohorte des intellectuels
Se tient prête à les habiller de pied en cap,
Grâce à un modèle unique fait sur mesure
Ou quelques articles de grande diffusion.
Certains, même, veulent se vêtir de haillons,
Pourvu que d'autres aient cousu le fil grossier
Des tissus assemblés avec arrière-pensée.
L'anticonformisme ne s'improvise pas,
L'excentricité, aussi, respecte des lois
Qui s'affichent sur les uniformes portés.
Alors, nous faudra-t-il, comme des primitifs,
Aller nus pour manifester notre refus
De porter ces habits étriqués ou trop grands,
Trop ternes, trop brillants, pour penser simplement
Et conquérir enfin ce droit exorbitant :
Mesurer nous-mêmes la longueur de l'ourlet
Et nous satisfaire de nos propres faux plis.

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Si j'étais un fleuve

J'accepte de croire à la réincarnation,
Mais j'aurais tout de même quelques prétentions.
Pour me convenir, cette vie remise à neuve
Changerait de lit, du ruisseau au grand fleuve.
Non pas de ces eaux canalisées, maîtrisées, 
Bien tracées dans des paysages aseptisés,
Mais de celles qui coulent au rythme des saisons, 
Sans jamais connaître d'écluses pour prisons.
De la montagne ne pouvant me retenir
A la mer impatiente voulant m'accueillir,
Dans la glace, sous les vents, le feu du soleil, 
Je resterais d'une majesté sans pareille.
Dans cette nouvelle vie, je serais la vie.
Rien ne viendrait contrarier toutes mes envies.
Je voudrais bien renaître pour, en vérité,
Enfin comprendre le sens du mot "liberté".

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Le scandale

A la une des journaux, les gros titres s'étalent,
Cris des vautours qui se repaissent de ce scandale ;
Leurs plumes puantes, plus acérées que leurs serres,
Ont gravé un destin, sanguinolent dessert.
Le faux et le vrai ne sont que miettes du festin
Que les charognards veulent partager avec tous ;
Le cadavre agité de dernières secousses
A lu sa mort, ligne après ligne, jusqu'à la fin.
La proie était belle, ce qu'il fallait de rebelle,
La sélection naturelle, la chasse cruelle,
Tout pour faire une histoire qui durera un peu,
Pour l'éphémère gloire des moralistes pompeux.

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L’arbre et l’enfant

Lorsque ma mère m’a donné la vie,
Mon père a planté cet arbre.
Une balise, point dans l’infini,
Qui a laissé le Monde de marbre.

Deux êtres parmi la multitude,
Dans l’anonymat, l’indifférence.
Pour une famille, une fortitude.
A la nature, une révérence.

Arbre et enfant : insignifiance,
Deux poussières du Grand Univers.
Pourtant, quelle magnificence
Mettant valeurs et lois à l’envers.

Qu’est-ce qu’un arbre face à, la forêt,
Les grands paysages, l’immensité ?
Et qu’est-ce qu’un enfant, quel intérêt ?
Seuls comptent les peuples, l’Humanité.

Pourtant quelle divine quiétude
A l'ombre du géant impassible,
Quelle bienheureuse solitude
Que lui seul rend encore possible. 

L'enfant n'est plus, seul l'arbre reconnaît
Cet homme qui compose avec le temps.
Si nul fol impie, un sacrilège ne commet, 
Il me survivra bien longtemps.

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Moralité... ne pas se regarder dans la glace !
Sauf à observer un immuable rituel...


Je m'aime

Le matin, sur mon miroir, j'écris "Je m'aime";
Je ne me quitte jamais tellement je m'aime;
Même si personne ne m'aime, moi je m'aime;
Je ne me fais jamais de scène tellement je m'aime, 
Parce que, plus fort que leur haine, moi je m'aime;
Je me donne toujours raison tellement je m'aime;
Souvent, pour me rassurer je me demande si je m'aime
Et je m'entends répondre "n'aies pas peur, je m'aime";
Alors, satisfait, je dis "moi aussi, je m'aime";
C'est pour tout ça que je m'aime.

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Le peintre fou

J’ai achevé, hier, mon œuvre la plus parfaite ;
C’est elle qui me vaudra le titre de maître !
J’ai peint un paysage d’hiver hypnotique :
Une toile vierge, immaculée, magnifique !
Par une inspiration divine et géniale, 
J’ai laissé le support en l’état initial,
Sans même l’effleurer d’un seul coup de pinceau…
Si vous êtes d’une autre trempe que ces sots,
Vous saurez voir dans ce tableau le premier gel,
Comme Dieu a créé le monde originel !
Vous verrez aussi, si vous avez du talent,
Par un bien curieux sortilège… un peu de blanc !

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Sans aucun intérêt

 
Marcel est chômeur depuis si longtemps
Qu'il en a perdu la notion du temps.
Pour garder un minimum de repères,
Il s'astreint à un rythme salutaire:
Il navigue entre bistrot et cuisine;
D'un l'un il trinque avec quelques copains,
Dans l'autre il boit seul, pour garder la main.
D'ailleurs il a perdu tous ses amis,
Il ne lui reste guère que Rémi,
Le seul à lui donner un coup de pouce,
Sans vraiment lui rendre la vie plus douce,
Mais une éclaircie une fois par mois,
Ça réchauffe un peu quand il fait si froid...
Il démontre sa tendresse, à sa façon,
A grands coups de boucle de ceinturon,
Avec un parfait sens de l'équité
Pour sa marmaille, objet de ses bontés.
Sa femme laisse faire et ne dit rien.
Elle prie pour chasser le signe indien.
Elle se dit que ce n'est pas de sa faute,
L'homme est un animal comme les autres...
Marcel mène l'existence ordinaire
Des oubliés au seuil de la misère.
Pas de quoi fouetter un chat, vraiment !
On s'y intéressera seulement
S'il devait arriver quelque malheur,
Si, Rémi l'ayant aussi délaissé,
Marcel, un soir un peu trop arrosé,
Décidait de mettre un terme en famille,
Sur un coup de tête, pour des broutilles,
A cette histoire sans aucun intérêt
Qui serait, avec lui, vite enterrée.
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Les chevaliers blancs

Dans cette société corrompue,
Le silence est parfois rompu
Par des magistrats courageux
Déclarant la guerre aux mafieux.
Méfions-nous des chevaliers blancs
Qui ne s'attaquent qu'à des puissants
Et qui nous laissent sur le côté,
Préférant la notoriété.
Si la justice est capable
De frapper les intouchables,
Nous, la plèbe, attendons aussi
Qu'elle s'intéresse à nos soucis.
Nous voulons que soit remédié,
A ces audiences vite expédiées,
A l'attente pendant des années,
Pour voir nos cas examinés
Nos si médiocres préjudices
Qui ne passionnent pas la justice,
Ne font pas la une des journaux,
Ni régionaux ni nationaux.
Les fameux mis en examen
Continuent de serrer des mains,
De pérorer sur nos écrans,
Pour nous démonter tout leur cran.
Ils reçoivent souvent la sanction
D'une simple admonestation ;
Qu'importe cet arbre effeuillé
Qui voudrait cacher la forêt ?
Cette république des juges
Et tous ces zorros qui s'insurgent,
Ne peuvent réjouir que la presse ;
Aux autres, il reste la détresse.

         .........

Dis, comment c'était la guerre ?

Dis l'ancien, s'il te plaît, raconte-moi la guerre.
Tu sais, je n'ai pas eu la chance de mon père,
Je n'ai pas pu prouver ma bravoure au combat,
Alors explique-moi ! Comment c'était là-bas ?

Je n'aime pas remuer ces vieux souvenirs,
Mes cicatrices me font bien assez souffrir,
Mais pas autant que ce poids mort qu'est ma mémoire
Ou que ces ombres glissant dans mes cauchemars.

Allons ! Tu ne peux pas garder tout ça pour toi,
Ce serait égoïste ! Pense un peu à moi !
Si j'étais né plus tôt, au temps de mes aïeux,
J'aurais pu, comme toi, voir tout ça de mes yeux...

C'est vrai, j'aurais peut-être dû parler;
Je voulais croire que je pouvais oublier;
J'aurais dû t'enseigner ce que c'est que la guerre,
Avec son fleuve de sang à l'odeur amère...

Tu ne trouveras pas de meilleur auditoire !
Vas-y ! Je suis prêt à écouter ton histoire !
Raconte-moi le bruit des canons, les batailles,
Ce qu'il faut faire pour se couvrir de médailles...

A quoi bon maintenant ? Je n'en ai plus le temps !
Rassure-toi, tu n'attendras pas longtemps...
Ouvre grands les yeux et regarde devant toi...
La guerre est pour demain, cette fois c'est pour toi !

                             ...........

Verra-t-on un jour un présentateur de télévision prénommé Modeste?

Narcisse

La légende a menti, Narcisse n'est pas mort
Au bord de sa fontaine en pleurant sur son sort.
Il déclare tous les soirs sa flamme à son image,
En prenant mille noms et autant de visages.

Il nous parle de nous mais ne pense qu'à lui.
Chaque fois, dans nos yeux, son reflet le séduit.
Peu importent les mots qu'il dit à sa façon,
Peu importe leur sens, il en aime le son.

Narcisse est animateur de télévision.
Il n'est pas utile d'apporter des précisions,
Pour comprendre qu'il est enfin heureux de s'aimer,
Plus qu'aucun d'entre nous ne le pourra jamais.

Ecrire à l'auteur : kevisa@lagoon.nc

 

 

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