Dérisoire et dérision
Autour du feu
Une brassée de bois et un air de guitare,
Notre habituel rendez-vous de couche-tard,
Autour d'un feu de camp nous rendait tous joyeux,
Comme les flammes et les notes au milieu.
Ces moments sont précieux, on le sait bien plus tard,
Quand on a rangé depuis longtemps les guitares,
Qu'il ne nous reste plus que la triste musique
De nos regrets, comme des refrains nostalgiques.
Mais il m'arrive parfois encore de chanter,
Dans ma tête, en silence, en pensant au passé,
De revoir, les yeux fermés, ces lointains souvenirs,
Ces fragments de pur bonheur et de leur sourire.
Une œuvre marine
Dans leurs yeux
Le mot philosophal
...........
Les menteurs
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L'intellectuel
Il veut être incompris
Pour paraître un génie,
Obscur et hermétique
Pour toiser les sceptiques,
Naviguer dans les brumes
Léger comme une enclume ;
Ne jamais s'expliquer
Ou se faire embarquer
Dans des débats futiles
Qui pourraient être utiles
Pour comprendre un peu mieux
Son esprit nébuleux.
Il a fini par croire
A sa grande victoire
Sur les gens ordinaires
Qui préfèrent se taire,
Ne pas le contredire
Quels que soient ses délires ;
Il saurait cependant
Que tous ces faux perdants,
S'il pouvait lire en eux,
Le trouvent ennuyeux
Et que c'est la raison
De sa péroraison
Laissée libre à souhait
Et très vite oubliée.
...........
La perruque du
Roi Soleil
Le Roi Soleil,
poudré et perruqué de frais,
Pensait : "si je m'aime autant, c'est que je plais
Aussi à mes sujets, dévoués corps et
âme
A Ma Majesté, prêts à déclarer
leur flamme,
A me jurer aveuglément obéissance
Et à célébrer toujours ma
magnificence.."
Sûr de lui, le Roi demanda donc son avis
Au petit peuple, de la province à Paris,
Attendant sereinement tous les compliments
Qui ne manqueraient pas sur son accoutrement.
Mais au lieu du cortège d'éloges
serviles,
Vinrent quelques critiques mesquines et viles !
"Sire, votre perruque est un peu de travers..."
Comment !!! Ces ignorants, ces rustres, ces
pervers,
A qui l'astre du royaume avait fait la grâce
De les laisser s'exprimer, avaient l'audace
De douter, de critiquer et de blasphémer
!!!
Non! Cela le Roi ne le permettrait jamais!
Il promulgua sur le champ un décret royal
Menaçant du terrible supplice du pal
Quiconque, du noble au serf, ne porterait pas,
A son image, ce ridicule apparat !
Il fit décapiter, pour frapper les esprits,
Son perruquier et quelques uns des malappris...
En fait la totalité du royaume !
A la fin, il ne resta vraiment plus personne,
Que le roitelet, seul devant son miroir,
Admirant son reflet du matin jusqu'au soir.
...........
La dictature
de la mode
Habitués des maisons de haute imposture
Ou clients des boutiques de prêt à penser,
Ils applaudissent les dernières créations
De tous ceux qui façonnent la mode et le
goût,
Les stylistes et grands couturiers des idées.
Politiques, philosophes ou journalistes,
Toute la cohorte des intellectuels
Se tient prête à les habiller de pied en
cap,
Grâce à un modèle unique fait sur
mesure
Ou quelques articles de grande diffusion.
Certains, même, veulent se vêtir de
haillons,
Pourvu que d'autres aient cousu le fil grossier
Des tissus assemblés avec
arrière-pensée.
L'anticonformisme ne s'improvise pas,
L'excentricité, aussi, respecte des lois
Qui s'affichent sur les uniformes portés.
Alors, nous faudra-t-il, comme des primitifs,
Aller nus pour manifester notre refus
De porter ces habits étriqués ou trop
grands,
Trop ternes, trop brillants, pour penser simplement
Et conquérir enfin ce droit exorbitant :
Mesurer nous-mêmes la longueur de l'ourlet
Et nous satisfaire de nos propres faux plis.
...........
...........
Si
j'étais un fleuve
J'accepte de croire à la réincarnation,
Mais j'aurais tout de même quelques
prétentions.
Pour me convenir, cette vie remise à neuve
Changerait de lit, du ruisseau au grand fleuve.
Non pas de ces eaux canalisées,
maîtrisées,
Bien tracées dans des paysages aseptisés,
Mais de celles qui coulent au rythme des saisons,
Sans jamais connaître d'écluses pour
prisons.
De la montagne ne pouvant me retenir
A la mer impatiente voulant m'accueillir,
Dans la glace, sous les vents, le feu du soleil,
Je resterais d'une majesté sans pareille.
Dans cette nouvelle vie, je serais la vie.
Rien ne viendrait contrarier toutes mes envies.
Je voudrais bien renaître pour, en
vérité,
Enfin comprendre le sens du mot "liberté".
...........
Le
scandale
A la une des journaux, les gros titres s'étalent,
Cris des vautours qui se repaissent de ce scandale ;
Leurs plumes puantes, plus acérées que leurs
serres,
Ont gravé un destin, sanguinolent dessert.
Le faux et le vrai ne sont que miettes du festin
Que les charognards veulent partager avec tous ;
Le cadavre agité de dernières secousses
A lu sa mort, ligne après ligne, jusqu'à la
fin.
La proie était belle, ce qu'il fallait de
rebelle,
La sélection naturelle, la chasse cruelle,
Tout pour faire une histoire qui durera un peu,
Pour l'éphémère gloire des moralistes
pompeux.
...........
Larbre
et lenfant
Lorsque ma mère ma donné la vie,
Mon père a planté cet arbre.
Une balise, point dans linfini,
Qui a laissé le Monde de marbre.
Deux êtres parmi la multitude,
Dans lanonymat, lindifférence.
Pour une famille, une fortitude.
A la nature, une révérence.
Arbre et enfant : insignifiance,
Deux poussières du Grand Univers.
Pourtant, quelle magnificence
Mettant valeurs et lois à lenvers.
Quest-ce quun arbre face à, la
forêt,
Les grands paysages, limmensité ?
Et quest-ce quun enfant, quel
intérêt ?
Seuls comptent les peuples, lHumanité.
Pourtant quelle divine quiétude
A l'ombre du géant impassible,
Quelle bienheureuse solitude
Que lui seul rend encore possible.
L'enfant n'est plus, seul l'arbre reconnaît
Cet homme qui compose avec le temps.
Si nul fol impie, un sacrilège ne commet,
Il me survivra bien longtemps.
...........
Moralité... ne pas se regarder dans la glace !
Sauf à observer un immuable rituel...
Je m'aime
Le matin, sur mon miroir, j'écris "Je m'aime";
Je ne me quitte jamais tellement je m'aime;
Même si personne ne m'aime, moi je m'aime;
Je ne me fais jamais de scène tellement je
m'aime,
Parce que, plus fort que leur haine, moi je m'aime;
Je me donne toujours raison tellement je m'aime;
Souvent, pour me rassurer je me demande si je m'aime
Et je m'entends répondre "n'aies pas peur, je
m'aime";
Alors, satisfait, je dis "moi aussi, je m'aime";
C'est pour tout ça que je m'aime.
...........
Le peintre
fou
Jai achevé, hier, mon uvre la plus
parfaite ;
Cest elle qui me vaudra le titre de maître !
Jai peint un paysage dhiver hypnotique :
Une toile vierge, immaculée, magnifique !
Par une inspiration divine et géniale,
Jai laissé le support en létat
initial,
Sans même leffleurer dun seul coup de
pinceau
Si vous êtes dune autre trempe que ces sots,
Vous saurez voir dans ce tableau le premier gel,
Comme Dieu a créé le monde originel !
Vous verrez aussi, si vous avez du talent,
Par un bien curieux sortilège
un peu de blanc
!
...........
Sans aucun
intérêt
Les chevaliers blancs
Dans cette société
corrompue,
Le silence est parfois rompu
Par des magistrats courageux
Déclarant la guerre aux mafieux.
Méfions-nous des chevaliers blancs
Qui ne s'attaquent qu'à des puissants
Et qui nous laissent sur le côté,
Préférant la notoriété.
Si la justice est capable
De frapper les intouchables,
Nous, la plèbe, attendons aussi
Qu'elle s'intéresse à nos soucis.
Nous voulons que soit remédié,
A ces audiences vite expédiées,
A l'attente pendant des années,
Pour voir nos cas examinés
Nos si médiocres préjudices
Qui ne passionnent pas la justice,
Ne font pas la une des journaux,
Ni régionaux ni nationaux.
Les fameux mis en examen
Continuent de serrer des mains,
De pérorer sur nos écrans,
Pour nous démonter tout leur cran.
Ils reçoivent souvent la sanction
D'une simple admonestation ;
Qu'importe cet arbre effeuillé
Qui voudrait cacher la forêt ?
Cette république des juges
Et tous ces zorros qui s'insurgent,
Ne peuvent réjouir que la presse ;
Aux autres, il reste la détresse.
.........
Dis,
comment c'était la guerre ?
Dis l'ancien, s'il te plaît, raconte-moi la
guerre.
Tu sais, je n'ai pas eu la chance de mon père,
Je n'ai pas pu prouver ma bravoure au combat,
Alors explique-moi ! Comment c'était là-bas
?
Je n'aime pas remuer ces vieux souvenirs,
Mes cicatrices me font bien assez souffrir,
Mais pas autant que ce poids mort qu'est ma
mémoire
Ou que ces ombres glissant dans mes cauchemars.
Allons ! Tu ne peux pas garder tout ça pour toi,
Ce serait égoïste ! Pense un peu à moi
!
Si j'étais né plus tôt, au temps de mes
aïeux,
J'aurais pu, comme toi, voir tout ça de mes
yeux...
C'est vrai, j'aurais peut-être dû parler;
Je voulais croire que je pouvais oublier;
J'aurais dû t'enseigner ce que c'est que la
guerre,
Avec son fleuve de sang à l'odeur amère...
Tu ne trouveras pas de meilleur auditoire !
Vas-y ! Je suis prêt à écouter ton
histoire !
Raconte-moi le bruit des canons, les batailles,
Ce qu'il faut faire pour se couvrir de
médailles...
A quoi bon maintenant ? Je n'en ai plus le temps !
Rassure-toi, tu n'attendras pas longtemps...
Ouvre grands les yeux et regarde devant toi...
La guerre est pour demain, cette fois c'est pour toi !
...........
Verra-t-on un jour un
présentateur de télévision
prénommé Modeste?
Narcisse
La légende a menti, Narcisse n'est pas mort
Au bord de sa fontaine en pleurant sur son sort.
Il déclare tous les soirs sa flamme à son
image,
En prenant mille noms et autant de visages.
Il nous parle de nous mais ne pense qu'à lui.
Chaque fois, dans nos yeux, son reflet le séduit.
Peu importent les mots qu'il dit à sa
façon,
Peu importe leur sens, il en aime le son.
Narcisse est animateur de télévision.
Il n'est pas utile d'apporter des précisions,
Pour comprendre qu'il est enfin heureux de s'aimer,
Plus qu'aucun d'entre nous ne le pourra jamais.
Ecrire à l'auteur : kevisa@lagoon.nc
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