KEVISA



Sensations

Il faut se méfier des premières impressions
Et toujours prendre le temps de la réflexion.
Je laisse aux intellectuels cet adage,
Les gens sérieux ne sont pas toujours les plus sages.
 
A bien réfléchir et à disséquer le monde,
Trouvent-ils tout ce qui les entoure moins immonde ?
Les élans du cœur valent bien l'intelligenceoin des grands esprits et des olifants
Pour appeler au rassemblement des consciences,
 
Pour n'être pas si heureux de voir cette engeance.
 
La vérité sort de la bouche des enfants ;
Point bes
Les sensations peuvent tenir lieu de bon sens.
 

 

Le sculpteur

Si tu devais te changer en statue de glace,
Je trouverais comment arrêter les saisons
Pour qu'un hiver éternel te laisse à cette place,
En puisant au plus profond de ma déraison.

Si tu devais te changer en statue de sel,
Je figerais l'été, sans jamais de pluie ;
J'empêcherais qu'aucune eau maudite ne ruisselle
Dans de si beaux yeux tristes aux couleurs de la nuit.

Si les éléments indifférents à cette œuvre
Venaient altérer ton indicible perfection,
Je réparerais les dégâts de leurs manœuvres
En me faisant sculpteur pour ta seule protection.


Explication de texte

Je me sens presque intelligent
Lorsque des érudits m'expliquent
La poésie et les classiques,
Un tantinet moins indigent.
 
Ils veulent même m'expliquer
Le sens de mes propres écrits,
Pontifiant à corps et à cris,
Se sentant vraiment impliqués.
 
Leur enthousiasme débordant
Me laisse souvent sans réplique ;
Et je dis sans être cynique
Que j'admire leur style, leur mordant.
 
Et puis, ils m'apprennent tant de choses :
Les ressorts de mon inconscient
Qui l'ouvre à pas très bon escient,
Et les conséquences, et les causes…
 
Je suis ébahi, stupéfait
D'avoir écrit, sans l'avoir vu,
Autant de choses qu'ils ont lues !
C'est fou le bien que ça me fait !
 
Mais si, quand même, j'avais raison
De dire qu'il n'y a aucun sens
Derrière mes quelques mots qui dansent ?
Je connais mieux qu'eux ma maison…

 

 

La fuite

J'ai taillé à grands coups de sabre
Dans le maquis de mon passé.
Rien ne m'y lie, même en pensée.
La pomme a roulé loin de l'arbre.
 
J'ai retenu la leçon sage
Qu'on ne bâtit pas sur des ruines.
Mes souvenirs ne sont que bruine,
J'ai enfin pu chasser l'orage.
 
Et si je ressentais un vide,
Je m'éloignerais vite du bord
Du précipice de mes remords,
Je m'en irais le cœur aride.


Roulette russe

Vous devez être prêts à payer le prix fort,
Pour, comme moi, à chaque fois, défier le sort.
Mais je doute vraiment que vous soyez d'accord.
Pourtant, ce jeu vaut largement son pesant d'or:
Si je perds, je ne perds que la vie et le nord;
Si je gagne, ja sauve mon âme et mon corps.
C'est la très glorieuse incertitude du sport:
Un jour tu es vainqueur et un jour tu es mort.
Jusqu'à présent, la chance a été de mon bord,
Et en attendant le jour où... je joue encore...


Les couleurs du coeur

On dit que tous les coeurs ont la même couleur,
Mais j'ai grand peur que ce soit peut-être une erreur.
J'ai rencontré au long de ma vie bien des coeurs :
Des coeurs rouges flamboyant de colère ou d'amour ;
Des coeurs jaunes gonflés par l'égoïsme ou l'orgueil ;
Des coeurs verts battant doucement en harmonie ;
Des coeurs bleus, apaisés, pacifiés et ouverts ;
Des coeurs violets, instruits et prêts au sacrifice ;
Des coeurs noirs, chargés de remords et suppliants ;
Des coeurs blancs, encore purs et rythmés par l'espérance ;
Des coeurs en or, presque parfaits et chargés de lumière.
J'ai rencontré des coeurs de toutes les couleurs.
Mais à mieux y regarder, je crois que les coeurs
Ont tous, chacune de ces couleurs qui font un coeur. 



Le bal des anciens

Non, je n'irai pas danser au bal des anciens,
Leurs beaux souvenirs ne ressemblent pas aux miens,
Et si nous avons un peu vécu côte à côte,
Celui qu'ils pensent avoir connu est un autre ;
J'ai moi aussi des regrets, mais sans nostalgie,
Ceux, avant tout, de ne leur avoir jamais dit
Que je n'aime pas leur manière de danser,
Que je n'aime ni leur présent, ni leur passé...



Il est temps... 

J'arrive parfois à voir au-delà du mur 
Erigé par moi-même pour cloîtrer mes peurs, 
Et ce que je vois dans les friches de mon futur, 
Me laisse plus que jamais glacé de terreur. 
Pourtant, cette terre ne m'est pas inconnue, 
Comme si j'en gardais des souvenirs d'après, 
Comme si je l'avais mille fois parcourue, 
Lancé au cœur de la mêlée contre mon gré,
Pour y livrer des batailles toujours perdues. 
Je sais très bien qu'il me faudra un jour quitter 
Cette forteresse où je demeure immobile, 
Pour retrouver tout ce que je dois affronter 
Dans ce triste décor, immuable et hostile. 
Je voudrais cependant encore un peu rester, 
Juste le temps de me revêtir d'une armure, 
De trouver des certitudes pour me lester, 
Moi qui suis tellement léger et si peu sûr. 
Mais, déjà, je me sens propulsé au dehors, 
Poussé dans le dos par une main invisible. 
Et une voix, négligeant que je tremble encore, 
M'exhorte à remplir une mission impossible.

Viens

Si tu te trouves un jour dans le doute,
Prends garde de ne croiser sur ta route
Un de ces prophètes menteurs,
Redoutable bonimenteur,
La voix plein de douceur, qui te dise:
Viens t'abriter dans mon église ;
Viens,
Si ta vie ne t'apporte plus rien,
Je te montrerai ce qui est bien ;
Viens,
N'écoute plus ceux qui nous méprisent,
Qui ne savent pas et qui médisent ;
Viens,
Fuis avec moi loin des sectaires
Qui traitent nous de sectaires ;
Viens,
Nous emprunterons le chemin,
Le seul qui mène vers demain ;
Viens,
Si tu veux avec moi méditer,
Tu découvriras la vérité ;
Viens,
J'effacerai tous tes souvenirs
Pour te bâtir un autre avenir ;
Viens,
Je ferai tes peines légères
Et toutes tes joies bien plus claires ;
Viens,
Si tu suis bien tous mes préceptes,
Comme tous les autres adeptes
Tu ne seras plus esseulé,
Tu seras un des appelés,
Il te sera fait l'immense honneur
D'entrer dans l'Église du Bonheur
Et de connaître enfin les délices
De l’Apocalypse salvatrice.

Vers le Néant

L'eau est douce et si fraîche, mais sans qu'elle le paraisse,
Elle mène en silence aux chutes de la détresse
Le fragile esquif déserté par ses marins,
Qui avaient pourtant juré de veiller au grain. 

Je me sens incapable de mener ma barque
Qui, des mauvais temps traversés, porte les marques.
Je dérive indifférent au but du voyage
Et n'espère même plus aucun amarrage.

Ce cours paisible me semble plus inquiétant,
De loin, que les plus tumultueux des torrents.
Mais aucun danger de céder à la panique,
Il n'y a, depuis longtemps, plus rien de tragique.

A l'approche des vertigineuses cascades,
Je saurai si ce n'était que fanfaronnade
Ou résignation à plonger dans l'océan
Et diluer sans peur ma vie dans le néant.

Une rencontre au bord du Styx

Je flânais le long des berges du Styx,
Remuant dans ma tête une idée fixe :
Trouver le passeur qui, pour quelques sous,
Me ferait voir le pays d'en dessous.
 
J'ai bien cru, quelquefois, l'apercevoir
Dans sa barque glissant sur les eaux noires,
Discerner une lampe qu'on allume.
Mes appels se sont perdus dans les brumes.
 
Accablé du poids de ces vaines nuits,
Je retournais au monde de l'ennui,
Juste avant que le soleil ne se lève
Sur les vivants faits de sang et de sève.
 
Dès le crépuscule, je revenais
Au bord des flots sombres me promener,
Cherchant à en comprendre les auspices,
Attendant que le sort me fut propice.
 
Déambulant comme moi, au hasard,
Comme chinant dans quelque vieux bazar,
Tu m'es apparue, pâle, triste et belle,
But ultime de ma quête éternelle.
 
Nous n'avons jamais trouvé le passeur ;
Nous avons fui très loin de la noirceur
De ce désert avec un fleuve au milieu ;
Nous attendrons d'être devenus vieux.



Le silence
L'absence, l'oubli et le mépris,
Se traduisent tous par le silence ;
C'est la principale différence
Qui sépare la mort de la vie.
 
Les vivants ne parlent qu'aux vivants ;
Les morts n'ont droit qu'à des regrets,
Ils sont les gardiens des secrets,
Ils appartiennent au temps d'avant.
 
Le silence que l'on doit subir
Lors de la fin d'une aventure,
Qui nous déchire et nous torture,
Nous apprend déjà à mourir.

 

Parano

Gardez-vous bien envers moi de toute insolence,
Car si dans vos yeux il n’y a qu’indifférence,
Que votre regard ne se pose pas sur moi !
Pas même un seconde ! Vous savez pourquoi !
Ce sont vos yeux qui disent que je ne suis rien,
Et dans ces miroirs détestés, je vois très bien
Le reflet de cet homme qui n’existe pas,
Moins encore que l’ombre attachée à vos pas !
Si vous ne me voyez pas, regardez ailleurs !
Je peux être haineux, je peux être batailleur,
Mais c’est de vous qu’est venue la première offense :
Votre cruelle et provocante indifférence !
 
C’est ma paranoïa
Qui vire à l’hystérie,
Ce vide immense en moi
Et dans vos yeux aussi.

Le bal des sorcières

Ce soir de lune pleine, Phylène est fière ;
Elle se rend au bal des apprenties sorcières.
Son carnet est plein pour la danse des balais ;
Merlin et Morgane l'attendent au palais.
Lorsqu'elle aura franchi les portes branlantes
Du repaire, elle sentira, pantelante,
Le souffle fétide et charmant de l'assemblée,
S'efforcera, avec soin, de leur ressembler.
Un peu honteuse de son teint juvénile,
Comparé à celui des hôtes séniles,
Elle ira sans doute vers le buffet, d'un bond,
Se revigorer d'un philtre nauséabond.
Puis, un peu grisée, plus que jamais décidée,
Elle montrera l'assurance d'une décédée,
Échangeant quelques sortilèges de politesse
Avec ses aînées, maléfiques papesses.
Et ensuite, que de ravissants cauchemars,
Elle fera, épuisée, sur son pouilleux plumard,
Sûre de, très bientôt, devenir célèbre
Au sein du très exquis monde des ténèbres.

 

 

Ecrire à l'auteur : kevisa@lagoon.nc

 

 

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