Ghislaine Renard   

 

 

VACUITE 

L’indifférence étale un glacis incolore
Sur les êtres et les choses
Et le filtre des sensations
Ne laisse parvenir qu’un vague écho
Distancié
Dans les brumes du cerveau.
L’horizon est d’un gris infini
Monotone
Même pas perlé.
Dans le flou sans tiédeur
Le cœur se dilue
Sans attente et sans espoir
Sans passé, sans avenir.
Sans note dissonante
L’atmosphère a le vague à l’âme
Et dans la grisaille uniforme
La pensée effleure distraitement
Les pétales du présent.

7 juin 2000

 Vacances

 La musique envahit
et gonfle les artères
tandis que les volants
gracieux et colorés
virevoltent gaiement
en arabesques fières.
La poitrine moulée
galvanise, provoque
et le danseur répond
en claquant des talons.
Son poids souple évolue,
dans l’air brûlant se cambre
et se fige en statue
contractant tous les membres.
Il explose à nouveau
en mouvements fougueux,
elle trace des cerceaux
d’un corps voluptueux.
Ses bras minces hâlés
se répandent en courbes,
castagnettes centrées
au coeur des paumes sourdes.
L’Espagne offre aux touristes 
son puissant flamenco
et jouit sur la piste
des très vibrants bravos.
 

7 juillet 1997

  

Retour

 Une horloge placide
caquette les secondes
et l’épouse impatiente 
l’attend dans son foyer.
Les aiguilles papotent...
cinq minutes déjà
augmentent le délai 
d’un retour très précis.
Et l’épouse étonnée
regarde la fenêtre
à peine interpellée
par ce léger retard.
Voilà que le tic-tac
égrène le quart d’heure
et notre épouse inquiète
arpente la demeure.
Mais la ronde conteuse
prolonge son discours
jusqu’à l’heure complète 
en  régulier parcours.
Alors l’épouse anxieuse
envisage déjà
un accident brutal
et peut-être fatal.
L’horloge goguenarde
se moque éperdument 
de cet époux qui tarde
à se rendre présent.
Et l’épouse affolée
au bout d’une heure et demie
se voit veuve laissée
à son chagrin transi.
Lorsqu’ enfin le temps clos,
il rentre heureux chez lui
c’est au bord des sanglots 
qu’elle se confie à lui.
Navré du contretemps,
il la tient en ses bras

caresse doucement

son épouse aux abois.
En une explication
il rassure sa peur
ramène à la raison
l’excessive frayeur.
Il sait qu’il est aimé
d’une épouse sensible
et souvent dominée
par l’angoisse pénible.

7 juillet 1997

 
Ballade au 20ème.

 Pour certains l’abondance
Consommation, fortune !
Pour d’autres la famine
La terre sèche, ingrate !

           
Justice ?
           
Laissez-moi ricaner !
 
Pour certains la santé
D’un corps alerte et vif !
Pour d’autres maladie
Handicap et souffrance !

           
Justice ?
           
Laissez-moi ricaner !
 
Pour certains l’innocence
Le cocon doux, ouaté !
Pour d’autres l’abandon
Le viol  et les sévices !

           
Justice ?
           
Laissez-moi ricaner !
 
Pour certains centenaires
La quiétude sereine.
Pour d’autres un point brutal
A une vie très brève.

           
Justice ?
           
Laissez-moi ricaner !
 
Je pourrais très longtemps
Illustrer l’injustice
D’un siècle de progrès
Combien mal réparti !

Le constat est amer
D’un très vide concept :
La Justice est un mot
Au son creux désolé.
Si elle est objectif
Pour les idéalistes,
Elle est inaccessible
Et pantin d’aléas
Hors de notre pouvoir.
Que pèse-t-il d’ailleurs,
L’idéal de Justice,
En chacun d’entre nous ?
Pèserait-il très lourd
Que je demeurerais
Malgré tout pessimiste.
Justice : trois syllabes
Au reflet illusoire !
Le monde forcené
Où domine l’argent
Étouffe sans complexe
Un vrai besoin de l’homme ! 

7 décembre 1996

 

Deuil

 Le souffle de la mort
a envahi le corps,
se répand dans les membres
et les rend diaphanes,
expulse de la chair
la chaleur de la vie.
Dans le temps immobile,
la raideur est glaciale
et s’insinue en traître
au creux de ses cellules.
La révolte est en moi, 
sourde et renouvelée.
Et l’angoisse renaît
de ce jour où viendra 
ton chagrin épuisé
sur mon enveloppe inerte.
Ta douleur ou la mienne...
et le deuil entre nous,
la fin inéluctable
et annonciatrice 
du décès de mes fils
devenus deux aînés.
La faucheuse gloutonne
épie ses réserves :
les pauvres garanties
de son éternité.
Le tumulte du coeur
s’étiole en vaines vagues
sur les chaînons brisés
du long collier du temps. 

20 février 1997

 L’éphémère 

Le bonheur fuit

bulle légère,
dès qu’on l’attrape 
entre les mains.
Coupe d’instants, de jours, de mois,
il éclate on ne sait pourquoi.
Violemment
intensément

dela paroi
il se libère.
Son âme souple et  enivrante
s’échappe des plaies béantes.
Il reviendra 
très sporadique
au creux des ans 
de notre vie.
Il ignore certains endroits
ceux où la guerre étreint ses proies.
Il se fait rare
absent parfois
boude le temps
réapparaît.
Le bonheur est d’humeur fantasque
se désagrège en nos bourrasques.
Et nous courons 
l’apprivoiser
pour qu’il se plaise
en nos foyers.
Le bonheur ne pèse pas lourd
si nous comptons tous ses détours.
Les moments pleins
galvanisés
nous manqueront
en nos maisons.
Le bonheur est trop fugitif.
De quoi sommes-nous donc fautifs ?                    
 

15 octobre 1995

 

Héroïne modeste

 Molière vous aimait, j’en suis sûre, Henriette,
Dans la douce expression de votre amour confiant.
J’ai senti votre humour de femme sensuelle,
Campée à mille lieues des excès affectés.
Les « Savantes » coupées des terrestres racines
Méprisaient votre hymen tendrement projeté.
Que proches nous étions, en la pièce, héroïne,
Quand je plongeais pour vous dans les mots de l’auteur !
Oui, mon oeil pétillait de votre sain bonheur !
Votre regard brillant au seul nom de Clitandre
Abritait dans l’éclat le vrai sens de la vie...
A quoi nous serviraient les trésors de l’esprit
S’ils n’avaient pour piliers et la chair et le sang ?
La victoire du coeur, trophée de l’être épris,
Se fête sans souci d’un savoir trop pédant.
Et les sens réjouis de la féminité
Connaîtront au foyer tendre félicité.
Votre sagesse sait que malgré ses discours
Armande sans nul doute envie votre amour !
Que les vers savoureux de votre dramaturge
Ont rassasié la faim de mon jeu théâtral !
Et je regarde au loin les moutons de Panurge,
Émules vaniteux d’un Trissotin banal !
 
15 mai 1997
 
  
UN NEZ MUTIN

 Dans des déserts de solitude
Il avait traversé les ans.
Son âme l’avait gardé rude, 
Lui, le plus dur de ses enfants.
 
Sans peur, sans haine et sans pitié,
Sans amour et sans affection,
Le désespoir l’avait livré

Aux affres de vraies émotions. 

Le bonheur frappait à la porte :
Ses traits n’étaient pas familiers.
Il fallait que son cœur supporte 
L’intrusion de jolis souliers.
 
La belle, coquette, obstinée
Avait jeté son dévolu,
Se présentait auréolée
D’honnêtes et bonnes vertus. 

Et l’inexplicable survint.
La flèche d’Eros décochée,
Il succomba un beau matin,
Quittant sa froide destinée.
 
13 novembre 2000 

 

Retrouvailles

 Minuit est dépassé.
Ton corps apaisé sommeille
Et le mien garde la spirale
De ton cœur tout fondu
En une étreinte retrouvée.
Ta patience est totale.
Mes « états d’âme » dilués
Nous ont permis ces retrouvailles.
Et ton amour conjugal
Heureux de ma présence
Me connaît,
M’aime unique, 
Conscient comme toujours 
De ma fidèle fragilité.
J’ai peur de te priver.
Ton grand bonheur réexprimé
Me déculpabilise.
A l’aune du mérite
Ton cœur a tous les droits.
 
26 juillet 2002 
 
 
 Espièglerie
 
Allongé sur le divan,
Tu te reposes.
Je bondis sur ton corps
Te souffle dans l’oreille
Te chatouille le cou.
Tu ris.  Tu te tortilles.

Nous jouons comme des gosses.

Nos rires se répondent.
Tu as la chair de poule.
Et tes longs poils se courbent
Légèrement dressés.
Si maman nous voyait…
Elle nous trouverait cinglés.
Mais c’est si bon de vivre,
De jouer, de s’aimer.
Ton petit neveu t’étouffe.

Il dit, fier : « Je t’ai eu ! »
Nous le lui laissons croire

Heureux et amoureux
Et reprenons nos places
Après cet intermède.

   15 mai 1994

 
Tristesse

 Sur les ailes du vent
J’ai fixé mes pensées
Et je vole gaiement
Au clair de mots dansés.
Je les veux aériens,
Inouïs, pleins de bleu
Et je n’innove rien : 
C’est aujourd’hui qu’il pleut.
Il pleut des mots tout drus,
Alourdis, noirs de glu.
Il pleut des mots tout nus, 
Tels que je n’en veux plus.
Je vole lourdement
Au gré de mots pleurés
Même la gaieté ment
Aux doux épis dorés.
 
21 août 1992

Secrets    

Il est des secrets lourds  
Comme un pesant fardeau
Et d’autres si confiants  
Qu’on les garde en écrins.  
Secrets d’outre-tombe  
Que même la mort ne connaît pas  
Et secrets de l’amour  
Illuminés de joie.  
Secrets cachés,  
Secrets chuchotés,  
Secrets trahis  
Et secrets de polichinelle.  
La connivence les aime  
Et l’envie n’a pour eux que haine.  
La curiosité les guette.  
L’intuition les devine  
Tandis que l’amitié les préserve.  
Ils sont vieux comme le monde,  
Mais nouveaux comme chacun de nous.  
Et s’il vit des secrets si doux  
C’est parce que rien n’est assez noir  
Pour susciter au fond de nous  
Le rejet d’une belle histoire.  

14 octobre 2001

 

  Moisson  

Le sommeil a levé les voiles.  
Il est en rade d’un autre jour.  
Et le soleil cherche sa voie  
Entre les interstices parcimonieux  
Des lattes verticales.  
Dans la maison endormie  
Ma plume veille, gourmande,  
Suspendue à mon bon vouloir.  
L’été chante sa mélodie,  
Attend de s’engouffrer
Dans le giron de vitres  

        
Généreuses  
Pour éclater en fanfare  
Dans mon humeur de la journée.  
Faire provision de bonheur…  
Et le fixer en vers-trésors  
Pour que dans l’hiver gris et terne  
Il reste présent à mon cœur.  
Pianissimo !  La maison dort !  
   
20 juillet 2002

   

HALTE A LA GUERRE !

La guerre s’en va,  
Tambour battant,  
Soulever les colères,  
Distiller plus de haine,  
Armer les bras hostiles,  
Gonfler l’intolérance !  

La guerre s’en va,  
Tambour battant.  
Son ventre est creux,  
La faim la guide :  
Elle croquera des victimes  
Et vaincra des soldats.  

La guerre s’en va,  
Tambour battant.  
Sa bouche se pourlèche  
Du sang qu’on versera.  
La triste hémoglobine  
Lui ouvre l’appétit.  

La guerre s’en va,  
Tambour battant,  
Alimenter les cris,  
Soutenir les fanatismes,  
Engrosser le racisme  
Et ignorer les pleurs.

La guerre s’en va,  
Tambour battant,  
Trouver tout son espoir  
Au milieu des deux camps,  
Souffler sur l’étincelle  
Pour enflammer la poudrière.

La guerre s’en va,  
Tambour battant,  
Pour faire de bonnes affaires,  
S’enrichir du malheur,  
Stimuler l’escalade,  
Surchauffer les bravades.  

Si un brin de raison  
Guidait les vrais meneurs…  
Si l’horreur des blessures  
Et de la mort germait…  
C’est la guerre qui mourrait,  
Tambour battu !  

14 octobre 2000


                           QUESTION

  Quand les entrailles  
De la Terre en colère  
Crachent le feu en jets puissants  
Hors des cratères rougeoyants,  
Quand la lave bouillante  
Envahit les villages  
Dieu Tout-puissant, où êtes-vous ?

Quand le ciel pleure à déborder,  
Répand ses larmes à profusion  
Inonde toutes les maisons  
Cache les routes,  
Emporte bêtes et moissons,  
Dieu Tout-puissant, où êtes-vous ?

Quand la Terre tremble  
Déstabilise l’habitat  
Comme châteaux de cartes,  
Quand les débris  
Couvrent les morts,  
Dieu Tout-puissant, où êtes-vous ?    

Quand la Tornade s’exaspère  
Détruit et ruine les espoirs  
Ravage sans souci,  
Tue et forme un désert,  
Dieu Tout-puissant, où êtes-vous ?

Croyants, comment y croyez-vous ?  

14 novembre 1999



                        Brasier

Si nous avons été  
début aux mille flammes,  
feu autosuffisant  
au choc de la rencontre,  
nous restons à ce jour  
charbons incandescents.  
Nous saisissons à vif  
la chair de l’existence  
pour flatter sa saveur,  
dévorer sa substance,  
accroître ainsi l’Amour.  
Nous l’alimenterons  
et le feu couvera,  
irradiant la chaleur  
au long banquet des ans.  
Un jour nous serons braises  
si Temps est généreux.  
Elles réchaufferont  
les soudures de nos cœurs  
et nous remercierons  
l’allumette de la Vie.  
   

6 mars 1997  

Carrefour  

Je suis au point de rupture  
Où je pourrais t’aimer  
Tendrement  
Passionnément  
Éperdument  
Ou t’oublier sans un cri  
Sans un regret  
Sans un remords  
Dans un éclat de rire  
Offert à d’autres yeux.  
Je pourrais oublier ces jours  
Où monte irrésistible  
L’envie de déchirer ton cœur  
De le tordre  
Jusqu’à la dernière goutte  
De le lacérer de mes griffes  
De le croquer de mes dents.  
Fantasmes de vampire  
Les jours où tu imposes  
Les jours où tu commandes  
Les jours où tu te moques  
Et ceux où tu me trompes  
Ces jours où je te piétinerais  
Jusqu’à te faire crier  
Implorer mon pardon.  
Ces jours où tu me crains,  
Pleins  
Lourds  
Gonflés  
De silences opprimés.

1988  

Colin-maillard  

Je te parle  
Au creux de mes silences.  
Je t’imagine  
Au détour de tes phrases  
Comme une toile  
Sans cesse tissée,  
Filet de funambule  
Tendu entre nos rêves.  
Est-ce un filet de terre  
Dans un océan d’eau ?  
Un gué rapide et sûr  
Pour abolir les rives ?  
Un salut répété  
Au détour des feuillages  
Alors que nous courons,  
Ruisseaux capricieux, buissonniers  
Vers un point de fusion ?  
Je crois que c’est aussi  
La lassitude immense  
D’une trop longue attente  
Tissée au plaisir vif, ciselé  
De découvertes neuves.  

1988  

                        Vocabulaire  

Tant de mots volent  
Plumetis légers, aériens  
Dans les rondeurs de phrases banales !  
Tant de mots sèchent  
Longs et courts  
Sur la corde des chagrins et des heurts !  
Tant de mots se piquent  
Polémistes et passionnés  
En des joutes larvées !  
Tant de mots gais, tristes  
Pratiques  
Pragmatiques  
Pimentent les actes des jours !  
Tant de mots inutiles  
Bloquent entre cœur et lèvres  
Les mots de l’aveu.  
Billes dures de pudeur  
Craintives d’être exploitées  
Lissées au mensonge de l’imparfait  
Projetées dans le souffle puissant  
De colères
Cachées dans les aspérités de ma gorge  
Pépites lourdes  
Bousculées  
Dans le flot de paroles  
De consentements rares et brefs.  
Elles n’ont pas franchi depuis des ans  
La barrière émaillée de mes dents.  
Trois petits mots  
Si pleins, lourds et légers  
Bloqués, muets  
Devant tes yeux :  
« Je t’aime »  
trois petits mots que je dirai  
ou que j’oublierai :  
« Je t’aime ».  

mai 1989  

Espoir  

J’ai le cœur en dentelle
Et les fuseaux s’activent  
A ourler, délicats,  
Les perles de l’avenir.  
Ce soir du bout des yeux  
Je te dirai « je t’aime »,  
A la pâleur des mots  
Je cisèlerai l’aveu.  
Dans la douceur ouatée  
De mes balbutiements  
J’imprimerai l’espoir  
Sur le grain de ta peau.  
Échappé à l’attente,  
Blotti au creux des mains,  
Il dessinera le temps  
Jusque dans ton regard.  
Mon corps contre le tien  
Se nourrira de rêve  
Et de ta chaleur tendre  
Il peuplera les mois  
Pour que dans les dérives  
De mes nuits solitaires  
La barque de l’amour  
Me ramène vers toi.  
   
3 décembre 1991  



Frontières    

Dans le fond de tes yeux  
Se meuvent des pensées  
Pour décrypter l’amour lové dans tes prunelles.  
L’amour ou l’amitié,  
Où s’inscrit la frontière ?,  
Quand est né du passé l’aujourd’hui estival.  
Dans le flou indécis,  
Le fantôme de l’espoir  
Plonge et dévore le bleu, le gris, le vert ou l’or.  
Quelle couleur ont tes yeux ?,  
Sinon insoupçonnable,  
Dans l’éclat du soleil et celui de mon cœur.  
C’est vraiment ton mystère  
Et tu ignores peut-être  
Le brouillard de ton âme et ses reflets changeants.  
A l’orée nostalgique  
Du bonheur conjugal  
Se mêlent les passés, présents enchevêtrés  
Et le vague verbal  
Dans lequel tu navigues
Y entretient le doute et le grain d’un futur.  
A cheval sur les mots  
Je chevauche le moment

Et ta main sur la mienne pèse le poids du vent.  
Si je savais l’avenir
Je plongerais sereine  
Dans le lac de tes yeux pour y fixer l’amarre.  
Mais je ne connais rien  
Et je doute de moi,  
De toi, de nous, de tout sur le bord de l’espoir.

27 juillet 1992  

Somalie  

Parmi la multitude  
Éplorée, décharnée,  
Jaillit la certitude  
D’un peuple sacrifié.  
Filiformes, tremblants,  
Ils s’offrent au regard,  
Misérables mendiants :  
Il est déjà trop tard.  
La mort sévit, cruelle.  
Les cadavres épars  
Se ramassent à la pelle  
Sans l’ombre d’un retard.  
Implacable destin  
Où l’aide humanitaire  
Ne cerne pas la fin  
D’une froide misère.  
Repus et satisfaits,  
Nous vivons décemment ;  
Ce n’est pas l’imparfait  
Qui aujourd’hui s’étend.  
C’est la famine éparse  
Aux tentacules noirs.  
Et tous ses durs comparses  
Se repaissent d’histoire  
Écrite au sang épais  
Gélifié désormais.  
Gel de l’indifférence  
Aux béances troublantes  
Complice des carences  
D’une amère épouvante.  
Que peut l’espoir ténu  
D’un lendemain meilleur  
Devant l’œil sec et nu  
D’un terrible malheur ?  
   
6 septembre 1992  

Vertiges  

Une angoisse diffuse  
Me noue l’estomac  
Comme un rapace énorme  
Emprisonne sa proie.  
Les serres acérées  
Effilochent le foie  
Et je me sens exsangue  
Au fond du désarroi.  
La peur n’a pas de nom :  
Elle se tapit et crie  
Et pénètre, profond  
Le chemin de la vrille.  
Le pourquoi du comment  
Me glace et me dévore  
Me tronçonne en segments  
Gloutons et omnivores.  
Toute anxiété tenace  
Les découvre, voraces,  
Diserts, envahissants,  
Entre eux indifférents.  
Un nœud inextricable  
Est né de leur croissance.  
La peur est un vocable  
Où se traduit l’errance.  
C’est le vide absolu  
Le gouffre des entrailles  
La béance goulue  
La naissance des failles.  
Certitudes fêlées.  
Questions acidulées.  

1992  

Dominique  

Sur l’onde de ta voix  
J’ai caressé le rêve  
D’ébaucher un futur  
Où tu serais le roi.  
Un royaume très doux  
Où je serais la reine  
Éclose à l’amour fou  
Par l’aube d’un regard.  
J’ai l’anxiété diffuse  
Des chemins incertains  
Et chevillé au cœur  
L’espoir du mot toujours.  
Espérance fragile  
Où demain n’est pas né,  
Grossesse incandescente  
Aux appétits de feu.  
Le présent me dévore  
Et je ne sais pas bien  
Où passe la frontière  
Entre hier et demain.  

22 octobre 1992

   

Adieux 

La maison tourbillonnait de ta fougue
Et ta vigueur la protégeait.
Je sens au bout des doigts
Les caresses de ta gourmandise avide
Et tes poils sous ma peau
Glissent et diffusent encore ta chaleur.
Notre Oky… notre chien !
Voici que le rivage de l’adieu
A séparé nos vies
Et si les larmes perlent à mes paupières,
Mon esprit déroule en silence
Les images de nos bons souvenirs.
Ton fauve charbonné
Et ton beau masque noir
Restent à jamais gravés
Dans nos mémoires aimantes.
Tu es parti doucement…
Et la maison orpheline
Garde les empreintes de tes pattes !
Aux échos du silence
Ton nom redit le bonheur passé.
Notre pensée te salue
Et le souvenir veillera sur toi !
   
13 décembre 2002

   

Genval  

L’eau calme reflète le soleil  
Et le lac fait la sieste.  
Nos pas serpentent de concert :  
Le silence épouse notre marche.  
Nous guettons à travers le feuillage  
Les murs gris du château  
Où le lierre triomphant  

S’agrippe à la façade  
Dans une euphorie prolifique.  
L’absence des voiles  

Confère à l’étendue tranquille

Sa dimension accrue :  
L’horizontale ininterrompue  
S’étale sans murmure.  
C’est une paix magique,  
Un endroit idyllique !  
Près du Musée de l’Eau  
La surface aquatique  
Semble inviter les promeneurs.  
Mais le désert d’un jour de semaine  
Nous offre ce tableau reposant  
Comme une confidence particulière  
A l’abri de tout vent.  


2001

 

                          Rêves  

C’est un sommeil léger  
Où fleurissent les rêves  
Qu’on peut sans se méfier  
Ciseler en orfèvres.  
Tour à tour saugrenus,  
Horribles ou romantiques,  
Ils rédigent un menu  
Ou plaisant ou cynique.  
Nous n’avons pas le moindre choix :  
Ils envahissent notre nuit,  
Nous laissent dans le désarroi  
Dès que l’inconscience finit.  
Des souvenirs précis  
Ou de vagues terreurs  
Nous cernent, démunis,  
Quand fuit le déserteur.  
Ou des faits disloqués encore  
Suspendent le cours de notre sort.  
L’obscurité complice  
Tisse la toile de l’inquiétude  
Et parfois pleine de délices  
Nous offre la " béatitude ." »  
Elle est au fait très ignorante  
De notre angoisse personnelle :  
Nous sommes seuls dans la tourmente  
Ou dans l’ivresse exceptionnelle.  
Elle reviendra, indifférente,  
Prendre relais de la journée.  
C’est à l’horloge stupéfiante  
Que notre vie s’est accrochée.  
   
14 octobre 2001  
 

  Échos…  

Au récipiendaire pantois qui n’en peut mais  
Je dirais le dérisoire d’un écho !  
Sur les fils monotones ou accidentés de l’existence  
Tissés en dépit de toute orientation  
Vient parfois se coller un papillon de bonheur,  
Pour lui d’ailleurs tout relatif !  
Et la toile désordonnée de nos vies  
Mène partout, mène nulle part,  
Tendue et résistante et cependant à la merci  
D’un simple coup de poing du destin.  
C’est le poème nu enfanté par un rêve  
Au creux de cette nuit où pointe minuit dix  
Et l’urgence me lève de la chaleur du lit  
Pour fixer ce contraste à nos futurs unis.  
L’éveil l’a transformé.  
Mon esprit s’évertue à retrouver les mots  
Imprimés en un’ chaîne autrement poétique  
Que la conscience a abîmés,  
Tronqués de leur substance,  
Enfouis à jamais dans quelque coin obscur  
D’un inconscient boulimique.  
Mais dans ton amour endormi  
Je puise ici la certitude  
D’un rêve noir issu nul ne sait d’où –  
Ma page en gardera l’histoire –  
Dans un émoi dévoreur d’énergie…  
Et dont je prie l’ogresse nuit  
D’engloutir jusqu’à la souvenance.  
   
3 février 2002  
   
   

            Panique  

Les cauchemars répétitifs  
M’emmènent loin de toi  
En des mondes divers  
Où la panique accélère  
Les battements échevelés  
De mon cœur.  
Et mon esprit veut s’éveiller  
Lutte en son désespoir  
Contre ces univers hostiles.  
La nuit dévastatrice  
Me fatigue les sens  
Jusqu’au moment où enfin  
La conscience chancelante  
M’extirpe des noirceurs  
En progression titubante.  
Et les contours sécurisants  
De notre chambre où tu dors  
Permettent à mon corps  
De s’approcher du tien.  
Ta chaleur se diffuse  
En mes veines glacées  
Et peu à peu,  
Dans le calme retrouvé,  
Je somnole à nouveau,  
Si la chance le veut,  
Jusqu’à l’aube.  

14 février 2002

 

                                                                        A mon mari  

De l’insomnie je te rejoins à l’aube.  
Ma pensée le sait :  
Ton instinct sent mon cœur  
Fractionné.  
Et ta fougue sollicite ma réponse.  
Mon corps est ardent.  
Il est là en filigrane  
Au creux de mon cerveau.  
Pourtant je t’aime.  
Ta jouissance explose  
Et la mienne est en rade  
Juste à l’orée d’un soupçon trop peu.  
Mon corps attend la sieste  
Et je réveillerai ton désir :  
Tu éteindras le feu où vous vous mêlez  
Et je sais ta victoire.  
Tu as la clé de mon cœur  
Les méandres de ma faiblesse.  
Ton amour sans partage  
Me retient contre toi.  
Nous vieillirons ensemble  
Et mon cœur de poète  
Doux cabri vagabond  
Toujours te reviendra.  
   
9 février 2002  

ghislaine.renard@skynet.be

 

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