GENESES et APOCALYSES

L'Angélus 

Je n'pleure pas beaucoup, et sans faire de bruit 
Mais éternellement, comme tombe la pluie. 
En effet, savez-vous, mon soleil c'était vous, 
Et mon dernier tourment, le souvenir de vous. 

Jusqu'au fond de la terre je serai prisonnier 
Du reflet de mémoire sur l'eau de nos regards. 
Jusqu'au bout de ma vie, votre image chérie 
Troublera le miroir de mes rêves meurtris. 

Je ne pleurerai pas, ou si peu, que personne, 
Ne saura qu'en mon cœur un angélus résonne, 
Qui appelle le coucher du soleil sur ma peine, 
Et toutes mes nuits désormais seront vaines. 

Si un jour votre doigt vient essuyer mes larmes, 
Alors je pleurerai ma joie sur votre main, 
Oubliant l'angélus, oubliant les alarmes, 
Oubliant qu'hier encore, je serais mort demain. 

2003
 
 

La Dame du Lac

(Poème-polar, hommage à Raymond CHANDLER)

Des vagues de silence noient les ports de l'angoisse ;
La nuit aux gants de brume broient les cours de passage ;
Un pont de solitude enjambe le paysage
Où des oiseaux strideurs battent la nuit qui poisse.

Une eau noire sur la plage dépose un baiser froid : 
La mémoire du lac se rappelle l'hiver.
L'encre des sapins dresse à l'horizon sa mer.
Nous ne sommes que trois : toi, le lac et moi.

Mais toi, tu n'es qu'une ombre indécise et rapide,
Une présence imprécise que je sais sans la voir.
J'allume une cigarette pour hâter mon suicide,
D'une flamme furtive, morte-née dans le noir.

L'écume du bonheur vient mourir à mes pieds ;
Les embruns du malheur viennent mouiller mes yeux ;
Comme il y a mille ans, sur le pont, je m'assieds,
Et dans l'eau qui patiente, je déchiffre les cieux.

Puis enfin, je te vois, toi, la Dame du Lac .
Une corde à ton cou s'agite en entrelacs.
Tu devais être belle avant d'être ballon,
Sans cette coiffe d'algues dans tes cheveux blonds.

Ton cri silencieux que le courant emporte
A pour unique écho ton rigide abandon .
La corolle de tes lèvres, que les ténèbres portent,
Ne sera plus la fleur qui s'offre comme un don .

La nuit aux gants de brume broie mon cour de passage,
Mais les grillons s'en foutent et grillonnent toujours .
Un pont de solitude enjambe le paysage .
Il ne me reste plus qu'à attendre le jour.

2003


Naissance

 Jadis il y avait un immense océan,
Parcouru seulement du long souffle du temps.
Pas de jour, pas de nuit :
Rien que le vide urgent de l’amour qui s’ennuie. 

Soudain cessa le vent ;
Un soleil se levant,
-Que personne ne vit-
Fit l’amour à la mer, et lui donna la vie.

C’est depuis que la mer, que la lumière attire,
Vient caresser la terre quand son amant se lève
Et mourir de désir,
Offerte, sur la grève.

………………………………………………... 

Il y eut un matin, prime aurore des cieux,
Qui mit des flaques d’or dans le grand  désert bleu ;
Puis il y eut un soir sur le froid désert noir 
- Mais personne pour voir. 

Des algues fureteuses, des coquilles sans âge,
Tout un peuple abyssal, fait  d’esquisses de vie,
-Que personne ne vit,
Sortirent de la nuit sous des lueurs d’orage. 

Sur ce monde en puissance, qui hésitait à naître,
Où l’enfant qui vagit n’osait encore paraître,
Tandis que le néant le disputait à l’être,
Chacun des éléments voulut régner en maître : 

Le feu pour les volcans, le ciel aux ouragans,
La terre chevauche l’eau cabrée contre le vent :
La nature criait mais nul ne l’entendait,
Car l’Homme était muet ; et  le Monde attendait.

Dans l’haleine du temps, les siècles en un torrent
Coulèrent droit devant sans rencontrer d’amants …

…………………………………………………….

Vint un matin charmant dans un jardin d’enfants ;
Elle est nue et babille, une feuille l’habille ;
Il est pur et gracile, tout d’ardeur juvénile,
Juché sur la voussure aimable d’un éléphant. 

Les oiseaux se sont tus ; la nature attentive
Entoure les enfants nus que leur regard captive.
 
Ses yeux parlent à ses yeux …
Sa main touche sa main …
Pas un bruit dans les cieux …
Frisson dans le matin. 

Alors …

Le feu quitte les volcans pour brûler dans leur cœur,
Le vent cède la parole et la donne à leurs ris,
La terre offre son herbe à leur tendre moiteur,
Le mer retient son souffle dans l’attente d’un cri

 Et c’est ainsi ma mie
Qu’un ultime matin,
Sur ta main endormie
Je poserai ma main.

2003


Demain l’étoile 

Tu vois l'amas local à mille années - lumière ?
A l'intérieur s'entassent, tels qu'ils étaient hier
Des familles stellaires, des naines et des géantes
Des amas globulaires, des galaxies spirales
Et notamment une, spécialement brillante,
Où s'est joué jadis une tragédie fatale. 

Regarde, j'agrandis ; dans cette belle région
Lumineuse et lactée, il y avait un soleil
Ni grand ni petit, simple et vigoureux, pareil
A un jeune berger qui garde ses moutons.
Ses moutons étaient neuf, plus leurs satellites,
Plus une vaste ceinture de froids aérolithes. 

Rapprochons nous encore ; ce système bienheureux
Comptait donc neuf planètes, tu les a sous les yeux.
L'une d'elles comme tu le vois, était du plus beau bleu,
La couleur de la mer, la couleur de la vie.
Faune flore et hommes y croissaient à l'envi…
Regarde de plus près cette belle planète Terre
Regarde de plus près les trous dans l'atmosphère.
 
Ceux que l'on appelait "hommes" étaient de drôles de corps
Produisant, détruisant et toujours polluant,
Accumulant les déchets encore et encore,
Affaiblissant toujours plus le règne vivant,
Pour autant qu'on le sache, seulement pour de l'argent.
Alors la couche d'ozone s'est retrouvée trouée
Et la vie par ce trou, la vie s'est échappée. 

Regarde, grossis encore, regarde ces fleuves secs,
Ces fantômes d'immeubles qui dressent leurs carcasses,
Sur l'écran de lumière à des kiloparsecs,
Au - dessus des cadavres d'êtres consumés ;
Squelettes aux doigts tordus d'arbres décharnés,
Villes carbonisées où planent les rapaces
Dans le soleil mortel qui sans cesse harcèle
Jusqu’aux oiseaux de proie qui attendent que passent
Les derniers survivants qui rampent dans le couchant … 

Voici enfin le titre d'un journal retrouvé
(Et traduit à peu près, orthographe incertaine)
Qui fixe le début d'une mort annoncée :

"Sommet de Rio : veto américaine".

C'est tout pour aujourd'hui, tu peux sécher tes yeux ;
Et retiens la leçon que nous donne l'étoile
De ce monde jadis au centre de la toile :
Bien que ne jouant pas aux dés, dis toi que Dieu
Peut changer de cheval au milieu de la course,
Abandonner l'enfant au milieu de la brousse.

  1998



Le jour où la nuit commencera


Il pleuvra …

La Terre s’engloutira …
La mer creusera sous les ports s’effondrant ;
Les bacchantes du temps s’étireront sans fin ;
J’aurai faim.

Des gouttes d’étoiles tomberont,
Avant-garde d’un ciel qui s’éteint.
Le jour s’écrasera dans sa plainte vermeille ;
Ce sera le couchant amarante d’un matin de soleil.

Le doigt des pyramides se repliera du ciel
Et le désert serrera les poings,
Pour que les pierres ne crient, malgré le gel.
Le fils battra sa mère ;

Le chien mordra son maître.
Et mon ombre impaire
Mesurera deux kilomètres
Sur la route nue de l’espoir,

Dans le crépuscule de l’histoire 
Où la lumière bat en retraite.

Il pleuvra.
J’aurai faim de toi.

Notre-Dame s’abattra sur l’Île de la Cité ;
Les visages du Monde, frappés de cécité,
Ne seront qu’une ride
Levés vers un ciel vide.

Je n’aurai plus de doigts, car personne à toucher ;
Je n’aurai plus de bouche, sans baisers à donner ;
Je n’aurai plus de cœur, car personne à aimer.

Je n’aurai que mon ombre à jeter sur les murs,
Et le temps à porter,
Qui colle à mes chaussures.

Il pleuvra,

Le jour où tu partiras.

2003



La boîte de Pandore

Nous n’irons plus au bois, la forêt enchantée
Ne s’ouvrira plus sur nos désirs murmurés …
Nous irons sur la croûte d’un désert inventé,
Sur le sol épuisé d’un âge désamouré …

Le soleil percera le crâne des nouveaux-nés,
Tu n’auras plus de larmes à abandonner
Au creux sec de ma main tendue vers ta douleur ;
Le gris terne des jours mangera les couleurs.

Des arbres de métal empaleront les heures
Qui mourront lentement en pleurant leurs secondes ;
Le seul vent se levant sera celui des cœurs,
Un souffle agonisant sur la mer qui succombe.

La mer à bout de vagues et des vagues de plomb …
Au ressac disparu de rivages martiens,
Tituberont nos pas écrasés par l’aplomb
De l’étoile de midi qui cherchera les siens …

Nous n’irons plus au bois, les forêts sont coupées.
Nos rêves mourront de soif aux fontaines étroites,
Tous fauves libérés, rapaces émancipés.
Pandore nous l’avait dit : n’ouvrez pas cette boîte …

2003

 

© Jean-Marin Serre

Écrire à l'auteur : Upland@wanadoo.fr

 


 


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