|
Parfois
Parfois la vie s'envole de nos lèvres
comme des oiseaux de mer
alors la fleur reste vide
et nous sentons les mains du passé nous étreindre
comme des enfants heureux qui ne reviendront plus.
Et nous buvons le café amer des années
pour rallumer une présence au fond du coeur
pour que renaissent ceux qui sont partis
ceux qui nous ont laissé là perdus dans l'outre-vie
Et le ciel qui était nôtre reste désert
les portes des jours se referment
contre nos amours inutiles
gisantes sous les pierres
La fête lentement s'en est allée danser plus loin
et nous parcourons les forêts du souvenir
sur le sable froid des sentiers non-retour
sentiers de nos pauvres enfances de passage
Il poudre partout sur des dalles
aussi vaines que les larmes
aussi mortes que les tendres étreintes
de ceux que nous avons déjà tenus dans nos mains un jour
Adolescence
J’ai souvenir de toi, petite adolescente
Qui m’alluma des feux, voilée sous ta pudeur
Effluve d’un parfum qui m’allait droit au cœur
Tu étais toute neuve en ta beauté naissante
Nos yeux à demi clos brillaient dans la soupente
Où nous étions allés à l’abri des voyeurs
Tes lèvres frémissaient enluneillées d’ardeurs
Et j’effleurai tes seins nouvelets dans l’attente
Comme un aimant surgi de ta peau lumineuse
Ton corps me suppliait dans sa douceur fiévreuse
Et appelait mes mains sous ta blouse de soie
Le cœur hypnotisé sans pouvoir reculer
Tu restais suspendue à l'amour qui foudroie
Et moi qui craignais trop pour te déshabiller
À ma sur
de peines !
Donne-moi ta détresse et que je l'enfouisse
Dans le fond de l'abysse aux portes de l'oubli
Verse-moi tous tes pleurs je les mêle à mes
eaux
Aux creux des océans de ton âme
affligée
Livre-moi ta tristesse pour que je la baigne
Et que je la délave en mon cur
outragé
Puis je la jetterai à ces grands oiseaux
blancs
Qui voilent dans le vent au milieu des
tempêtes
À la vague qui court le long de mes rivages,
Qu'elle dérive au loin vers des îles sans
nom!
Toi, la femme flétrie sous des mains
monstrueuses
Toi, la si douce enfant, toi, la tant
méprisée
Toi que j'aime si fort et qu'on a crucifiée
Donne-moi ta douleur que je la boive toute
Amour de
poète
Je te voudrais
saphique
Poétesse éolienne
Pythie de l'île Delphes
Prêtresse d'Apollon
Pour oser consoler
Ton chagrin de mes pleurs.
Je te voudrais enfant
Pour te chérir encore
Te prendre en mon amour
Te lover en mon âme
Et te laisser aller
Partout où tu voudrais,
Pour me laisser charmer
De l'appel des sirènes
Te serrer dans mes mots
Te blottir dans mes bras
Et calmer ta frayeur.
Puis, sans plus jamais craindre
L'attachement du coeur,
T'aimer et t'adorer
D'un amour de poète.
Mais je ne le peux pas
Car tu es une femme
Et ta douceur me touche
Et je crains ta douleur!
Avec le
temps
L'empreinte de ton corps laissée là sur le
sable
Je m'y suis couché doucement.
Il y restait encore un petit bout de câble
Qui m'attacha délicieusement
Je t'ai cherchée partout et de mes mains offertes
Qui te touchaient d'amour à mi-mot en secret,
Sur la page du cur, j'ai écrit d'encres
vertes
Un poème enflammé que toi seule lisais.
Mais les pluies sont venues pour éteindre ma
trace
Sur la plage l'été vient de tout balayer,
Et l'adieu de ton âme à présent qui
s'efface
De notre enchantement plus rien ne va rester!
Clopin-clopant
En empruntant un
escalier
dès la seconde marche
j'ai dû mettre un pied de côté
au risque de me tordre l'arche.
De ce fait un peu médusé
(car la troisième était moins large)
de descendre je continuai
en chaloupant comme une barge.
Mon pas frappa trop tôt le sol
car la sixième était plus haute
j'ai failli prendre mon envol
et rejoindre le bon apôtre.
La neuvième c'était trop bas
de cinq pouces, grand bien me fasse
tombé dans le vide oh la la!
je me retrouvai sur la face.
Et passai de vie à trépas
faute de rythme et de cadence
presque impossible dans tout ça
de conserver le pas de danse.
Quand le curé chanta ma messe
en circulant autour du corps
aucun ne vit que des deux fesses
il boitait égal de tous bords.
Quant à ce menuisier coupable
qui construisait des tourne-pieds
il se voulait encor capable
en toute spontanéité
de faire en marches inégales
trop compliqué de mesurer!
Deuil
Je ne t'ai plus revue de ces neiges d'automne
où tu t'es envolée
définitivement
et mon cur en est mort dans la poitrine
comme
une bête blessée sans implorer
l'aman.
Et je n'ai jamais su où se trouvait la
tombe,
et je n'ai jamais vu qu'on t'y eût
déposée,
lorsque j'y suis venu après des jours sans
nombre,
en vain j'ai recherché une fosse
oubliée.
Point de fleur, point de Christ, point d'honneur, point de
pierre,
aucune inscription pour marquer ton trépas,
seule une dépression en forme de
baissière
où le gazon brûlé par l'eau ne poussait
pas.
Lors je m'y suis lové dans ce ventre de
terre
pour entendre ta voix qui avait disparu
et, enfant de dix ans, sur cette tombe
austère,
je t'ai dit mon Malheur mais tu n'entendais plus.
Et je t'ai suppliée de revenir, ô
mère!
pour que je puisse encor me blottir dans tes bras
et respirer l'odeur de ton corps
éphémère,
retrouver cet amour enterré avec toi.
Puis j'ai senti soudain comme quelqu'un
derrière,
l'ombre du fossoyeur qui m'observait muet
et me pointant l'endroit du bout de sa
tarière,
il me dit doucement: "C'est bien là qu'elle
était!"
J'ai imploré le saule en ses branches
pleureuses,
l'impassible soleil cruellement d'azur,
et passés par le trou de la haie
épineuse,
ma Solitude et moi, avons franchi le mur.
Fin
La nuit affleure à l'horizon du temps qui passe
Je viens juste de naître et je mourrai demain
Quand plusieurs des aimés auront de guerre lasse
Abandonné ce monde et perdu les chemins
Quand le goût de ta chair sera devenu fade
Quand mes amis défunts ne seront plus autour
Et que mon cur lassé de cette mascarade
Sera perclus des ans et par le désamour
Alors viendra ce jour et sans que rien n'y fasse
Sans que j'ose espérer un tout dernier
détour
Crucifié aux années, je laisserai la place
Et mon corps gémira quand ce sera son tour
Tes yeux liront sur moi la dernière prière
Ma vie s'envolera vers un autre séjour
Pour toi, petite amante, au chagrin planétaire
Pour toi dorénavant, ma vie n'aura plus cours
Et je te pleurerai du fond des cimetières
Au milieu de mes cendres sous les monuments
Et je te chercherai au profond de la terre
Toi ma douce compagne avec acharnement
Tant mon amour pour toi ne pourra se
défaire!
Hiver
L'hiver rayonne à ma fenêtre
On ne sent plus le temps passer
Ah! si le printemps pouvait naître
Et les oiseaux recommencer
Le soleil poudre sur la neige
Le vent nous gifle par à-coups
Au lieu que la froidure assiège
Il vaudrait mieux des jours plus doux
Quand les frimas ouvrent cortège
Je ne sais plus que les temps gris
Le froid continue son manège
Et me souvient que je vieillis
Si tu passes par ma rivière
Que février a pétrifiée
Vois que sous la couche de verre
L'eau continue de s'écouler
Quand
?
J'ai plané sur ton corps aux milliers de
caresses
Comme un aigle assoiffé qui se prend à
glatir,
Ton ombre m'a bercé de sa
délicatesse
Et je suis demeuré sans pouvoir repartir.
Car tu es le ruisseau de ma mélancolie,
Par tes gémirs plaintifs j'ai été
soulagé
De l'angoisse du temps et de la nostalgie,
De mes larmes d'enfance au jardin saccagé.
Et depuis sous tes mains s'effacent les nuages,
La tristesse s'envole aux charmes de ton corps,
J'ignore si demain finira le voyage
Mais tous ce que j'espère, est de t'aimer
encore.
Hâtons-nous maintenant d'épuiser nos
tendresses,
De ne laisser mourir aucun précieux
instant,
Je n'ai plus qu'un regret qu'une seule
détresse,
D'en voir venir la fin, ô toi que j'aime
tant!
Saules
Le temps jonche mon corps et m'infiltre sous terre
Et vos racines bleues me boiront, arbres nus,
Quand les pluies du printemps reviendront en
rivière
Pour délaver mes os dans la fonte et les crues
Je n'aurai plus d'angoisse et mourront les
misères
Et mes amours aussi pour lesquels j'ai vécu
Je ne sentirai plus que l'eau des fondrières
Et le souvenir gris de ceux que j'ai perdus
Je vibrerai au son des bourgeons qui éclatent
Et me balancerai dans les saules branchus
Qui ondulent sur l'onde en branches délicates
Je serai sous l'écorce aux verdures charnues
Alors, vous m'oublierez dans la vie où
s'ébattent
Les oiseaux tapageurs en faisant leur chahut
L'été poindra bientôt sur les lacs qui
miroitent
Et vous n'entendrez plus les cris de l'urubu
VAIR
Pour que je trouve enfin la couleur de tes yeux
Dans le bleu de grisaille aux matins
indécis
Laisse! Laisse sur moi se poser ton regard
Magicienne assoupie à l'indice du
rêve!
Comme autant de saphirs, laiteusement ovales,
Un lapin endiablé gambille en tes prunelles
Sourcière! Dis-moi la couleur de tes yeux,
Pinceaux multicolores aux miroirs inversés!
Ô toi, ma Nuageuse
Dis-moi pourquoi leurs feux
Et leurs langueurs rêveuses
Comme des doux hamacs suspendus sous les arbres
Dis-moi leur voilure et leurs mâts
Où perchent silencieux des canaris orange
Te revoici, rivière aux tains versicolores!
Ô nonchalance nébuleuse,
Ô sinueuse irisée des eaux
pâles,
Dis-moi aussi tes lèvres aux mille cerises!
CHÂTELAINE
Je cingle en tes
risées
stellaires qui
m'enlacent
vers ta Grande
Ourse ailée
et le lait de ta
Voie.
S'ouvre alors
accrochée
dans les
mâts de ta grâce
la voile
déployée
de mon bleu
désarroi.
Ton parfum me
poursuit
et hante mes
narines
troupeau de daims
surgis
affolés par
les cris
j'entends passer
des biches
dans la brise
marine
comme des
montgolfières
en l'abîme
des nuits.
Constellés
d'hirondelles
s'envolent les
mirages
de tes yeux
débordés
en fontaines de
jais,
tant la pluie
radieuse
alanguit mes
rivages
et tes
jaillissements
en minces
ruisselets!
Et tes eaux
envahissent
ma terre et la
délavent
je sombre
lentement
dans ton
immensité
comme une
caravelle
qui mouille entre
des plages
ta douceur
hallucine
et me fait
chavirer.
Et perchés
tout là-haut
enserrés
à tes hanches
tous ces
colifichets
qui se mettent
à tinter
une douce
éléphante
un olifant qui
brame
un orvet rutilant
un salamandre
ambré
délicats et
ouvrés
comme ton vrai
bijou.
© Franz Seguin
|