DIVERS

 



Paul-Jean TOULET 
1867-1920 
(recueil : Contrerimes) 

Nocturne

Ô mer, toi que je sens frémir 
A travers la nuit creuse, 
Comme le sein d'une amoureuse 
Qui ne peut pas dormir ;

Le vent lourd frappe la falaise...
Quoi ! si le chant moqueur 
D'une sirène est dans mon cœur -
Ô cœur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d'avoir 
Personne qui vous plaigne... 
Tout bas, comme d'un flanc qui saigne,
Il s'est mis à pleuvoir.

 

Le marché, d'Abert Samain (1858-1900)

Sur la petite place, au lever de l'aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d'œufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d'argent clair, qu'une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S'attarde à chaque étal, va, vient, revient, s'arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s'éloigne au milieu d'insolentes clameurs.
L'enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l'eau qui coule,
L'auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L'enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier.


 

 

LOUIS-HONORÉ Fréchette 

          poète Canadien 1839-1908

                     Niagara


L'onde majestueuse avec lenteur s'écoule ;
Puis, sortant tout à coup de ce calme trompeur,
Furieux, et frappant les échos de stupeur,
Dans l'abîme sans fond le fleuve immense croule.

C'est la Chute ! son bruit de tonnerre fait peur
Même aux oiseaux errants, qui s'éloignent en foule
Du gouffre formidable où l'arc-en-ciel déroule
Son écharpe de feu sur un lit de vapeur.

Tout tremble ; en un instant cette énorme avalanche
D'eau verte se transforme en monts d'écume blanche,
Farouches, éperdus, bondissant, mugissant...

Et pourtant, ô mon Dieu, ce flot que tu déchaînes,
Qui brise les rochers, pulvérise les chênes,
Respecte le fétu qu'il emporte en passant.

Oiseaux de neige, 1880

 

 

Gaston Couté (1880-1911)


Je suis descendu bien souvent
Jusqu'au cabaret où l'on vend
L'ivresse trop brève;

J'ai fixé le ciel étoilé
Mais le ciel, hélas ! m'a semblé
Trop haut pour mon rêve.

 

GUEUX 

Un soir d'hiver, quand de partout,
Les corbeaux s'enfuient en déroute,
Dans un fossé de la grand'route,
Prés d'une borne, n'importe où
Pleurant avec le vent qui blesse
Leurs petits corps chétifs et nus,
Pour souffrir des maux trop connus,

 


Les gueux naissent

Pour narguer le destin cruel,
Le Dieu d'en haut qui les protège
En haut de leur berceau de neige
Accroche une étoile au ciel
Qui met en eux sa chaleur vive,
Et, comme les oiseaux des champs,
Mangeant le pain des bonnes gens
Les gueux vivent.

Puis vient l'âge où, sous les haillons,
Leur cœur bat et leur sang fermente,
Où, dans leur pauvre âme souffrante,
L'amour tinte ses carillons
Et dit son éternel poème ;
Alors blonde fille et gars brun,
Pour endolorir leur chagrin
Les gueux s'aiment !

Mais bientôt, et comme toujours,
- Que l'on soit riche ou misérable -
L'amour devient intolérable
Et même un poison à leurs jours,
Et sous tous leurs pas creuse un gouffre :
Alors, quand ils se sont quittés,
Pour les petits qui sont restés
Les gueux souffrent 

 

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Dernière mise à jour : samedi 12 juin 2004