CHRISTIAN PEQUEUX

 

A l'enterrement d'une feuille morte

A l'enterrement d'une feuille morte 
il y avait un hérisson 
et une bande de cloporte 
dont je n'ai jamais su les noms 

et tous ces tristes gens marchaient 
sur des jonchées de feuilles mortes 
tout en parlant mezza voce 
de l'automne qui les les emporte. 

A l'enterrement d'une feuille morte 
mon cœur s'est fendu d'un regret 
c'est un peu toi que l' on emporte 

au soir d'un été sans après. 
Le jour s'écourte devant la porte, 
l'automne emporte tes secrets. 




QUAND JE SERAI BIEN VIEUX ...

Quand je serai bien vieux prés du calorifère
Avec mon vin chaud et mes journées précaires
J’oublierai et les roses et leurs foutues épines.
A cette heure du temps où l’horloge domine,

Il faut laisser en paix ce que le cœur patine,
Dans l’écume du vent jeter ses souvenirs…
Le présent réducteur avance et se termine
La course qui nous mène au bout de l’avenir.

Quand je serai bien vieux, mais alors qu’y faire
Des bavoirs spongieux aux couches qui débordent,
Vieux bateau assoupi, n’ayant bientôt plus d’erre,
Des plus anciens que moi je laisserai la horde

S’en aller voir là-bas  si je n’y suis déjà.
Je ne suis pas pressé d’embrasser la camarde
C’est déjà bien assez qu’elle ait pris tous mes chats,
Mes femmes, mes souvenirs et mon temps qui retarde.

25/11/02

                          ...........


MON CREDIT CHEZ VENUS

Mon crédit chez Vénus ? Hélas il périclite ,
Eros ne bande plus son arc de bois rond,
Et Cupidon s’en fout, j'file un mauvais coton ,
Je n’ai pas de penchants pour la vie sodomite.

Onan est fatigué et ne me tient plus tête
Et faire le travelo ne serait pas très net.
Adieux donc mes beautés, ainsi en veut le sort
Vous restez dans la vie quand le vieillard en sort.

J’éprouverai encor le plaisir platonique
Qu’on prend de temps en temps, comme un médicament,
D’apercevoir parfois, posant ses vêtements,
Une belle sirène exposant sa plastique

A mes yeux obsédants, sous la froide chandelle
De la lune trop pleine sur son tapis d’argent.
Il me reste ma pipe et mes chats infidèles,
Mes roses éphémères et Bacchus indulgent.

13/02/03

ORAGE SUR BAGDAD


Les antennes découpent les nuages en lanières
Qui volent sur les toits, écharpes dans la nuit,
La chaleur engourdit les particules d’air
Il règne sur la ville un avant goût d’enfer.

Le manteau de la nuit, percé de tant de trous
Que l’aiguille divine ne sait plus où elle coud
Se déchire aux éclairs cabrant ici et là
La sauvage lumière aux meurtriers éclats.

Une noirceur infâme plus sombre que la nuit
S’étend sur l’horizon où de l’argent s’enfuit
Et la ville vomit les murs de ses maisons
Dans l’opaque fumée des bombes en cargaisons.

La liberté arrive, larguée par les B2
Et fauche avec vigueur tous ces calamiteux,
Des ans de dictature couronnés par MOAB*
C’est la démocratie appliquée aux arabes.

Les ruines de Bagdad sont celles de Groznyi
Le droit cède à la force une autre tyrannie
Essaime ses étoiles au moyen orient.
Je vois des kamikazes s’équiper en riant.

L’iconoclaste
25/03/03

*Mother of All Bombs




LA  SECHERESSE

La sécheresse est là, qui craquelle la terre
plus une goutte d'eau, la récolte est grillée.
Le spectre de la faim s'étend sur la poussière
qui recouvre les champs, les maisons délabrées.

Et les gens se demandent comment passer l'hiver,
il y a des enfants sous le soleil de plomb
qui creusent des terriers pour retirer du fond
les quelques grains de blé amassés sous la terre

par les souris, les rats, compagnons de misère
qui comme eux crèveront avant d'autres ondées.
De leurs lèvres séchées monte cette prière
envoyez, s'il vous plaît, envoyez nous du blé

par pitié, par amour, par solidarité.
Et qu'Allah vous bénisse et vos petits enfants,
vous qui nous avez vu, un soir à la télé,
creuser pour quelques grains au beau milieu des champs.
23/8/01



J'AIME A TE REGARDER 


La chandelle s’est obligée à mourir 
Affaissée sur toutes ses larmes de cire. 
Dans le feu quelque bûche s’astreint à l’exploit 
De faire courir des flammes sur ta peau qui chatoie. 

Le silence sursaute lorsque l’âme du bois 
Dans un claquement bref, dépourvu de fumée, 
En bleuissant les murs vers le ciel s’en va. 
Le silence retombe, les draps sont parfumés. 

Tes cheveux ont captés l’odeur de la résine 
Subtilement mêlée aux effluves des corps, 
Tu ressembles allongée à ces statues félines 
Qui boivent le soleil de Thèbes à l’aurore. 

J’aime à te regarder dans la lueur obscure 
De ce feu qui se meurt, alanguie et cachant 
Sous ta paupière lourde, les vagues dont l’élan 
Bordent le jusant du plaisir qui perdure. 
 13/12/02


L'autodafé

J'ai posé mes poèmes en rond autour de moi
puis j'y ai mis le feu parce qu'elle n'est plus là
et je reste au milieu de mon amour qui brûle
dans cet autodafé ou mon coeur capitule.

Sur le cercle sacré tout brûle autour de moi
je suis paralysé, je suis triste, je suis las
comme le scorpion damné qui affûte son dard
et qui dans la fournaise guette un quelconque espoir.

J'ai brûlé mes poèmes car ma muse est partie
le charme s'est rompu, j'ai perdu la partie.
Mais si le noir démon décide son trépas
du fond de ma misère je ne l'imiterai pas.

Car je sais que demain un autre jour viendra,
la cendre des poèmes volera jusqu'à toi,
toi qui voudras savoir comment on dit je t'aime
toi qui viendras chez moi pour commuer ma peine. 

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Les Adieux du poète (localisation Singapour)
 
La bière était bien là posée sur deux tréteaux,
Assemblée de bois blanc elle paraissait fragile
Au milieu de la scène, derrière les grands rideaux.
Tout autour sur des chaises aux dossiers bien rigides

Vêtus comme il se doit, raides comme des pingouins
Se tenaient tous les proches et amis du défunt,
Ils avaient des faire-part sur lesquels des oiseaux
Pourvus de queues de pie et d'autres oripeaux

Leur donnaient rendez vous dans cet endroit bizarre
Où l'on procéderait, sans tambours ni trompettes
Ni curé, à la mise en bière du poète,
En présence d'invités des Lettres et des Arts.

Dans la salle les badauds , du parterre aux balcons,
S'impatientent et réclament qu'on lève le rideau
Ils sont tous excités ces grands sentimentaux ,
Sauf les intellos, de gauche, et autres cons.

Enfin les projecteurs s'étiolent et sous un clair
Croissant s'avance le poète en déclarant :
'Je ne voudrais pas vous mettre en retard céans,
Vous la mort gardez la faux en bandoulière

J'en ai pour un instant, retenez vos cerbères,
Car avant de partir je souhaite vous conter
Ce tout dernier poème écrit sur la beauté'.
Cela dit il s'avance sous un réverbère,

Du genre qu'on allumait comme une gazinière,
Faisant face au public, avec solennité,
Il produit un recueil jamais publié
'voici toute ma vie, qui tient en quelques lignes'

dit-il en commençant de lire les mots altiers
de cet alexandrin qui chante la divine
qui jamais d'un regard ne l'avait caressé.
Le poème est divin et le public pleure

Et même la faucheuse n'est plus tant empressée
Mais il a décidé et du jour et de l'heure,
Il entre dans la boîte, oubliant le livret,
Et se faisant la belle oublie de respirer.

Il est mort en prenant l'amour comme devise
Depuis toutes les belles par ses vers sont conquises.

                           ...........

Nous voici Arbre Sec

Nous voici arbres secs et bientôt arbres morts
Mais nos bourgeons s’affûtent dans l’ailleurs,
Il faut ouvrir la porte, abandonner ce corps
Qui en quatre saisons, du pire et du meilleur

A connu les délices, affronté les douleurs.
Nous voici arbres secs et bientôt arbres morts
Au bout des espérances, lassés du leurre,
Nos désirs assouvis dans l’âme et dans le corps

Aux croisées du destin ont la même valeur
Que nos espoirs déçus. Ni les uns ni les autres
N’ont dévoilés la voie. La vie qui était nôtre,

L’avons-nous donc vécue ? Étions nous maraudeurs
D’amour et de bonheur ou d’histoires inventées ?
Nous voici arbres secs, au feu des vérités.


                 
..........


J’IMAGINE LA MER


J’imagine la mer quand le vent fait des vagues
Sur les épis de blé,
J’imagine la mer quand le lac s’agite
Et roule les galets,
J’imagine la mer les soir ou je m’abrite
Au havre de tes yeux
J’imagine la mer quand le soleil élague
Les ombres dans les creux.

Mais la mer est si loin et toi tu es si près
Bombée comme un vaisseau,
Amarrée à mon quai, me présentant l’étrave
De ton corps à gréer,
Toi qui m’a enserré dans les fils de tes rets
Je t’offre mon verso,
Il faut que je te laisse ou que je me déprave
Sous ton œil abusé.

Car malgré tes appas j’écoute la passion
Qui m’entraîne au galop,
Tu dis bien que tu m’aimes mais nos jeux sont anciens,
Il me faut du nouveau,
La mer est la maîtresse où entrent en religion
Des cohortes d’amants
Qui chevauchent son flanc, lisse, qui se souvient
De nos renoncements.

Et si je me bâtis des vaisseaux en Espagne
Tout comme les châteaux
Il suffit que je croie aux rêves de cocagne
Qui passent sur les flots
Le décor est monté j’enfourche l’aventure
Adieu donc, beauté
Et si dans l’océan mon âme a des fêlures…
Je saurais les mâter.

17/09/02


J’AIME T’AIMER

J’aime t’aimer, à l’ombre bleue des hirondelles
Et sous leurs ventres blancs chanter la ritournelle,
Pendant que tout là-haut, dans le ciel ambigu,
Elles rythment le silence de leurs plongeons aigus.

J’aime t’aimer, à l’ombre blonde des javelles
Et sous les épis lourd chanter la ritournelle,
Pendant que les faucheurs, aux bras lourds des moissons,
A l’ombre des chariots font couler la boisson.

J’aime t’aimer, aux flux dansant de la chandelle
Et sous le dais brodé chanter la ritournelle,
Pendant que les frimas dépensent leur jeunesse
A mettre des cristaux sur l’automne qui progresse.

J’aime t’aimer, à l’ombre du sapin de Noël
Et sous l’étoile en or chanter la ritournelle,
Pendant que tes souliers attendent les cadeaux,
Près du feu vif et clair, qui brûle sous le manteau.

J’aime t’aimer, aux ombres providentielles
Qu’on cherche tous les deux quand les saisons sont belles
Ou les jours rigoureux. Aimons nous bien cachés
Et le temps oubliera d’envoyer ses archers .

 
     L'IMPALPABLE

Elle n’a pas le piquant du chardon
Ni la souplesse du saule,
Elle n’a pas la blondeur des chaumes
Ni le goût des bombons,
Elle n’a pas l’éclat des roses
Ni la douceur du limon,
Elle n’a pas la présence des choses
Ni les oublis de l’abandon.
Elle est immatérielle, un rêve
Qui m’abandonne sur la grève.
Elle a la souplesse du vent
La profondeur des océans,
Elle a la durée de l’espace
La transparence des glaces,
Elle a la puissance des orages
Et l’illusion des mirages,
Elle a la beauté du diable
Mais elle est impalpable,
Je la vois mais elle n’existe pas.
Je n’irai pas à ses sabbats.

26/09/02

 




Le silence n'a pas d'écho ... 

Le silence est l'envers de la vie, 
le silence est monacal, 
c'est la parole de Dieu. 
Il n'existe que pour mettre en valeur 
les battements du cœur. 
Le silence est danger, 
il règne avant l'orage. 
Quand tout se tait les horreurs se préparent 
( c'est une gazelle qui me l'a dit, 
un soir au point d'eau ). 
Le silence est solitude, 
je l'ai rencontre dans l'atlantique 
quand le vent et la mer s'étaient lasses, 
je l'ai rencontre dans le désert 
quand même les pierres ne voulaient plus parler, 
je l'ai rencontre dans les foules 
qui hurlaient, m'assourdissant. 
Le silence est guenille déchirée par la vie. 

Le silence est l'ennemi des fous.


LORSQUE J'AURAI SOUS TERRE PRIS 
MA PLACE DANS TES BRAS... 

Miroir, mon miroir ne me dis pas que je suis belle, 
dis moi tout simplement que je suis encore là 
car lorsque mon reflet ne fera plus de zèle 
c'est que j'aurai laissé toute ma vie derrière moi. 

Miroir, mon miroir, est ce que tu te rappelles 
la fraîcheur de mes joues, le rose de mon teint, 
qui aux fards mensongers alors ne devaient rien, 
quand l'eau de ton regard me disait Demoiselle, 

va, le monde t'attend pour brûler tes vingt ans. 
Miroir tu as vu mes yeux noyés de pleurs 
plus souvent qu'ils n'étaient rayonnant de bonheur 
miroir, tu as vu passer combien d'amants ? 

Et puis il est venu, celui que j'attendais 
Oh, miroir, tu as vu mes yeux remplis d'été, 
mes yeux toujours riants dans la valse du temps 
qui nous tenait soudés, amoureux et confiants. 

Et puis il est parti, fauché par la camarade, 
en me laissant plantée, sur le champs de la mort, 
miroir, mon miroir, as tu vu sur mon corps 
les cendres de sa vie, qui me servent de hardes ? 

Miroir, mon miroir, ne me dis pas que je suis belle, 
dis moi tout simplement que je suis encore là 
car lorsque mon reflet ne fera plus de zèle 
c'est que j'aurai sous la terre, pris ma place en tes bras. 


IL MANQUAIT UNE RIME 

Comme le forgeron façonnant une lame, 
dans l'eau et dans le feu pour lui donner une âme, 
je triture les mots sur l'enclume du vélin, 
il me manque une rime pour finir ce quatrain. 

Il me manque une rime, quand je l'aurais forgée, 
mon poème sera tranchant comme une épée, 
limpide, comme la source des naïades, 
léger, comme une bulle qui s'extrade. 

Il me manque une rime, quand je l'aurais trouvée 
tous ces mots nouveaux nés, vous iront droit au cour, 
comme un trait de lumière réfléchit par l' acier, 
comme un murmure d'eau qui éloigne la peur, 

vous n'aurez pas le temps de les lire jusqu'au bout, 
vous serez dans la bulle et vous comprendrez tout. 
Il manquait une rime pour finir ce poème 
mais vous l'aurez trouvé, puisqu'elle rime en M. 


Écrire à l'auteur : sg_culturel@france.org.sg


LES FLEURS DE MON JARDIN 

Les fleurs de mon jardin écrivent une romance 
d'ou les mots sont bannis au profit des fragances 
subtilement mêlées pour conquérir le coeur 
de celle qui ce matin vêtue de sa pudeur, 

Descendra le chemin emperlé de rosée. 
Les fleurs de mon jardin écrivent une romance 
pour celle qui leur ressemble, que j'ai apprivoisées 
avec des mots fleurs, enrobés de silence, 

Qui éclosent en douceur sous le poids d'un baiser. 
Les fleurs de mon jardin ont bien quelques épines 
mais au gré de ses pas elle vont les remiser, 

Préservant sa blondeur d'une touche sanguine, 
elle savent comme moi effleurer en tendresse 
cette soeur, cet amour, ce bonheur qui se tresse. 




J'ATTENDS ENCORE UN PEU... 

Avant que du clocher s'envole l'Angélus 
la fontaine murmure sous l'éclat de Venus, 
chanson de l'onde fraîche ou se mire le matin 
faisant une aquarelle de ses pastels sereins. 

Les feuilles des platanes égouttent la rosée, 
humeur de la lune, au ciel dévoilée, 
qui roule vers l'Occident ses rondeurs blanchâtres, 
quand la braise rougeoie et fait palpiter l'âtre. 

Par un trou du volet glisse un rai de lumière 
qui s'allonge sur le lit et vient te caresser 
allumant dans le noir les ocres de ta chair. 

Tes paupières sont closes sur des cernes bleus 
et ton sein se soulève a ton souffle léger. 
L'aube est encore quiète, j' attends encore un peu. 




PAUVRE PEUPLE DES RUES 

Pauvre peuple des rues, comme je t'aimais mieux 
quand tu allais, en haillons, le ventre creux 
guettant par ci par la, une bourse a couper 
sans tomber dans les bras des soudards du guet. 

Pauvre peuple des rues, comme je t'aimais bien 
lorsque dans les faubourgs tu flambais pour un rien, 
pour une goutte d'eau, qui débordait le vase 
du haut des barricad'tu payais ton ardoise. 

Pauvre peuple des rues, aujourd'hui je te plains 
dans les cages a lapins ou l'on t'a déporte 
avec des aumônes, oh ! peuple, on t'a castre. 
Une auto, une télé, une salle de bains, 

il n'en fallait pas plus, pour que ta rage au ventre 
s'évente, se dilue, dans ces médiocres antres 
Mais malgré ces ersatz il souffle sur les banlieues 
un esprit de révolte, qui joue avec le feu. 




JE PASSE DERRIERE EUX 

Je passe derrière eux, poètes renommes, 
qui ont fait la moisson des mots et des idées 
pour trousser des poèmes en 2 temps 3 mouv'ments, 
des poèmes écrits pour traverser les temps. 

Je passe derrière eux, poètes renommes, 
qui ont tout raconte sur les passions des hommes 
ne laissant derrière eux que la paille et le chaume. 
Ils ont pris le bon grain, m'abandonnant l'ivraie. 

Je passe derrière eux, poètes renommes, 
et je dois me débattre avec ces herbes folles 
pour glaner, en mon temps, un p'tit brin de succès, 
en écrivant des trucs, que le souffle d'Éole 

se fera un plaisir malin de disperser. 
Et si ces salopards, mes poèmes décrient, 
je leur dirai "Messieurs les fantômes consacrés, 
allez donc chez Ronsard, pour y voir si j'y suis".

© Christian Péqueux
Ecrire à l'auteur : sg_culturel@france.org.sg

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