BERNARD LANZA

 

 

Crois-tu que cela compte ? 

Un grand signe de la main,
Un "bonjour " au passage,
Un petit baiser volé,
Crois-tu que cela compte ?

Ce vieux pote qui te hèle,
Puis poursuit son chemin,
En te criant: "A demain !",
Crois-tu que cela compte ?

Cette souris sur le vieux banc,
Les yeux levés vers le ciel,
Qui se rappelle d'un serment,
Crois-tu que cela compte ?

Ce vieillard qu'on oublie
Parce qu'il est déjà loin,
Tout près de son paradis,
Crois-tu que cela compte ?

Cette putain sur le retour,
Qu'on insulte ou qu'on raille,
Elle rêve encore d'Amour !
Crois-tu que cela compte ?

Ce pauvre type qui a honte
D'avoir faim, d'avoir froid,
Mais qui ne mendie pas,
Crois-tu que cela compte ?

Tous ces nantis guindés
Qui bandent pour leur fric,
Méprisants et blasés,
Si on leur réglait leur compte ! 

                 ...........


L'hivernale folie 

Sauvage la neige, l'immaculée,
A recouvert les champs de blé;
Sur la colline, tout là-bas,
Juste en direction du levant,
On n'entend plus que ce silence
Qui plane et doucement s'étend
Sur les sentiers et sur la forêt
Où se terre la sinistre bicoque
D'un vieil artiste-peintre aveugle,
Perpétuellement ouverte, offerte 
Aux furieux vents des quatre saisons;
Ses volets verts grincent et claquent
Dès que la terrible bise du nord
Vient, perfide, éteindre les braises
D'un feu de camp encore fumant,
Là où des loups affamés viennent
Quêter une trop maigre pitance,
Leurs yeux hagards perçant la nuit
Comme ceux d'anges démoniaques effarés;
Ils semblent n'attendre plus qu'un signe
Avant de repartir chasser leurs proies,
Hurlant, farouches, à la vie, à la mort. 

Je lui dirai...

Ce soir je lui dirai,
Ou bien alors demain,
Si j'en ai le courage ;
Est-il venu le temps
De tout lui avouer,
Que j'aimerais pour elle
Être plus qu'un ami ?
Ce soir je lui dirai,
Oui mais voilà, si je n'ose
Lui dire ces jolies choses,
Je ne serai plus rien,
Qu'un pauvre et vieil enfant
Au cœur toujours battant,
Un fou qui croit toujours
Qu'on peut mourir d'amour
A soixante ans comme à vingt ans.

             ...........

                

S’ IL AVAIT SU… 

Ah ! S’il avait su à l’avance
Que la vie ce n’était que ça,
Il n’aurait pas, je le pense,
Pointé le museau ici-bas.
Sûrement qu’ il serait resté
En haut, tout près des anges,
Et nul n’aurait objecté
Ni même trouvé cela étrange ;
De l’Eden il aurait vu
La sinistre clownerie,
Et s’en serait désolé, pardi ;
Il aurait demandé au bon Dieu,
Peut-être las de ses créatures,
De le laisser dans les cieux,
Dédaignant l’aventure.
Mais il est bien sur terre,
Que cela lui plaise ou non ;
Pour lui c’est un mystère,
Est-ce à cause du chaînon ? *

* manquant


QUERELLE 

Comment oses-tu prétendre
Que je t’aime bien mal ?
Faut-il pour ton cœur prendre
T’offrir une rivale ?

En t’épousant, chérie,
En quoi t’ai-je leurrée ?
Je t’aime plus que ma vie,
Je peux te le jurer !

Il n’est pas de butin
Plus riche que ma passion ;
Ton petit air mutin
Attise mes obsessions.

Ah ! Si tu t’en allais,
Je perdrais la raison ;
Un pauvre esprit follet
Ferait mon oraison.

Repentante, reviens-moi !
Laisse couler tes larmes !
Ton visage en émoi
Aiguise encore ton charme.


PEUT - ÊTRE…

Peut-être
Est-il vain d’espérer ;
Peut-être
Les dieux sont-ils vraiment morts ;
Peut-être
Faut-il enfin faire silence ;
Peut-être
Ne reste-t-il plus de place
Pour les fous et les humbles,
Pour ces mains qui se tendent
Vers l’inaccessible ;
Pour les caresses fleurs
Des amants de l’amour ;
Pour le pouvoir des mots
Qui apaise nos blessures ;
Cette ombre qui s’étend
Comme un linceul fatal,
Immergeant ton cœur las,
Annoncerait-elle la nuit
Qui viendrait te chercher ?


OCEAN DE FLEURS 

Faut-il que croisse en ce jardin
La rose d’Inde porte-bonheur
Pour que de nos vies le chemin
Ne soit qu’un océan de fleurs ?

Moi qui ce jour cherchais en vain
Les quatre feuilles du trèfle-roi,
Ignorais que le lendemain
Mon cœur déborderait de joie.

Si l’on pouvait trouver l’amour
Sous la semelle de ses chaussures,
On n’aurait plus à faire la cour
A des demoiselles sages et pures.

Existe-t’ elle la fleur divine
Qui fait s’ouvrir toutes les portes ?
En y rêvant, on s’imagine
Qu’elle est là pour les âmes fortes.

Quand vient le soir, faut-il couper
La fleur avant qu’elle ne meure,
Ou serrer contre soi sa poupée
Sa bien aimée son âme sœur ?


JE T’ AI CHERCHEE CE SOIR 

Dans l’eau de la fontaine,
Je t’ai cherchée ce soir ;
Au temps de tes fredaines,
Elle était ton miroir.

J’ai cherché sous les draps
De la chambre d’hôtel
Où tu m’ouvris les bras
Pour te donner, ma belle.

Et puis dans le grand hall
De cette gare de province
Où tu jouais le rôle
De la muse d’un prince.

Te caches-tu au cœur
D’un jardin singulier
Où jadis le bonheur
Se fit notre allié ?

Je te cherche sans colère
Pour te redire encore
Que tu fus la dernière
A t’ancrer en mon port.


JE SUIS PASSE...

Je suis passé près de l’étang
Où s’égayaient de beaux enfants
Qui chantonnaient allègrement
Une berceuse du bon vieux temps.

Je suis passé près d’un ruisseau 
Où je m’étais jeté à l’eau
Sans retirer mon pantalon
Pour épater la Madelon.

Je suis passé près de ce champ
Où j’avais surpris, s’embrassant,
Deux amants follement épris
Qui en oubliaient le ciel gris.

Je suis passé près du petit bois
Où nous sommes allés bien des fois
Jouer à des jeux interdits
Pour occuper nos beaux jeudis.

Je suis passé tout près de toi,
Mais dans ta longue robe de soie,
Tu m’as semblé trop grande dame
Pour que j’en aie du vague à l’âme.


ELVIRE ET L’ OISEAU 

En ce temps où j’étais oiseau,
J’avais vraiment l’âme légère ;
Survolant la terre et les eaux,
Je saluais bien des bergères.

Quand je me posais dans les champs,
Toutes me confiaient leurs petites misères ;
Je les remerciais par mon chant,
Puis je repartais pour Cythère.

Là-bas, redevenu humain,
Je m’adonnais au fol amour ;
Les brunes, les blondes, tel un gamin,
Je dépouillais de leurs atours.

Mais ne pouvant me décider
A choisir quelle serait ma dame,
Je n’avais plus que cette idée :
Tuer en moi cet être infâme…

Qui ne croyait plus qu’au plaisir,
Et oubliait les sentiments ;
C’est alors qu’arriva Elvire
Qui m’enjôla habilement.

Je devins doux agneau pour elle,
Renonçant à tout artifice ;
Je la vénère, mon hirondelle,
Qui veut bien me donner un fils.


COULEUR DE SUIE 

Il avait croisé sur sa route
Une petite étoile couleur de suie ;
Elle s’était perdue sans doute,
Bourlinguant au bout de la nuit.

L’ayant invitée au partage
D’un frugal et modeste repas,
Fut-ce par pitié pour son grand âge
Que sans hésiter elle accepta ?

Ils échangèrent des souvenirs,
Elle en avait d’extravagants,
Et cela ne pouvait finir
Que par deux corps se désirant.

Sa peau trop pâle sur son cuir noir
Faisait contraste évidemment ;
Mais dans ses yeux clairs il crut voir
De la tristesse tout simplement.


Je ne peux te nommer

Tu es de tous les temps
Et tu nais en tous lieux ;
Hôte de ma mémoire,
Tu hantes mon sommeil
Et diriges mes rêves ;
Partout je te retrouve,
Sous les pierres d'un chemin,
Dans le chant d'un oiseau,
Sur les lèvres d'une femme ;
Tu es présent partout,
Ici et à mille lieues,
Vers ces terres inconnues
Où nul ne s'aventure
Et où vont s'échouer
Les songes des vivants ;
Je ne peux te nommer
Car tu n'as pas de nom;
Tu es l'air et le souffle
Du vent qui nous affole,
Tu es l'onde où mon cœur
A noyé l'espérance ;
Tu te métamorphoses
Et tu pars en fumée
Comme une cigarette
Qui retombe en poussière,
Point rouge dans les ténèbres. 


La foule

Je n'ai jamais aimé
Me mêler à la foule
Compacte et animée
Comme un fleuve qui s'écoule.

Je préfère le silence
Des bois frais et profonds
Qui aiguisent nos sens
Parfois jusqu'au tréfonds.

J'aime aussi distinguer
Du haut d'une éminence,
D'un hameau le clocher
Dont la flèche s'élance.

Si une jolie bergère
Soudain croise mon chemin,
Mon bonheur s'exagère
Quand je lui prends la main.

Avec elle, je pourrais
Me perdre dans la foule,
Éprouvant quelque attrait 
Pour les filles un peu cool. 


Le temps s'est arrêté

L'encre bleue de mes larmes
Sèche sur la feuille froissée ;
Le rossignol ne chante plus
En haut du grand tilleul en fleur ;
Soudain, le temps s'est arrêté
Quand les lumières ont vacillé ;
Je ne parviens plus à retrouver
Mes souvenirs de ces années
Où sans répit l'enchantement
De mon âme pure débordait ;
Je n'entends plus que ce silence
Qui volète entre le ciel et l'onde,
Près d'un étang qui va mourir,
Là où s'est effacée la trace
De mes printanières idylles. 

La sortie du tunnel

Lorsque tout se déglingue,
Que l'on n'espère plus rien,
Parce qu'on a trop souffert,
On n'a même plus le choix
Qu'à se laisser aller
A la désolation.

Quand la nuit et le jour
Sans nuance s'amalgament,
Quand on erre, solitaire,
Sur des routes d'ennui,
Peut-on trouver encore
La sortie du tunnel ? 

© Bernard Lanza
Ecrire à l'auteur :
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