ALBIREO

 

RENEE VIVIEN




La Fusée 

Vertigineusement, j'allais vers les Etoiles.
Mon orgueil savourait le triomphe des dieux,
Et mon vol déchirait, nuptial et joyeux,
Les ténèbres d'été, comme de légers voiles.


Dans un fuyant baiser d'hymen, je fus l'amant
De la Nuit aux cheveux mêlés de violettes,
Et les fleurs du tabac m'ouvraient leurs cassolettes
D'ivoire, où tiédissait un souvenir dormant.


Et je voyais plus haut la divine Pléiade.
Je montais. J'atteignais le Silence Eternel.
Lorsque je me brisai, comme un fauve arc-en-ciel,
Jetant des lueurs d'or et d'onyx et de jade.


J'étais l'éclair éteint et le rêve détruit.
Ayant connu l'ardeur et l'effort de la lutte,
La victoire et l'effroi monstrueux de la chute,
J'étais l'astre tombé qui sombre dans la nuit.

(Évocations, 1903)



Je pleure sur toi...

À Madame L.D. M...

Le soir s'est refermé, telle une sombre porte, 
Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...
Je t'évoque, ô splendide ! ô fille de la mer ! 
Et je viens te pleurer comme on pleure une morte.

L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins, 
Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues. 
N'as-tu point chevauché sur la crête des vagues,
Toi qui dors aujourd'hui dans l'ombre des coussins ?

L'orage et l'infini qui te charmaient naguère 
N'étaient-ils point parfaits et ne valaient-ils pas 
Le calme conjugal de l'âtre et du repas 
Et la sécurité près de l'époux vulgaire ?

Tes yeux ont appris l'art du regard chaud et mol 
Et la soumission des paupières baissées. 
Je te vois, alanguie au fond des gynécées, 
Les cils fardés, le cerné agrandi par le k'hol.

Tes paresses et tes attitudes meurtries 
Ont enchanté le rêve épais et le loisir 
De celui qui t'apprit le stupide plaisir, 
Ô toi qui fus hier la soeur des Valkyries !

L'époux montre aujourd'hui tes yeux, si méprisants 
Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne, 
Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne
Aux admirations des amis complaisants.

Abdique ton royaume et sois la faible épouse 
Sans volonté devant le vouloir de l'époux... 
Livre ton corps fluide aux multiples remous, 
Sois plus docile encore à son ardeur jalouse.

Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir 
Ton esprit autrefois possédé par les rêves... 
Mais ne reprends jamais l'âpre chemin des grèves, 
Où les algues ont des rythmes lents d'encensoir.

N'écoute plus la voix de la mer, entendue 
Comme un songe à travers le soir aux voiles d'or... 
Car le soir et la mer te parleraient encor 
De ta virginité glorieuse et perdue.

(À l'heure., 1906)




Chanson pour mon ombre 
Droite et longue comme un cyprès, 
Mon ombre suit, à pas de louve, 
Mes pas que l'aube désapprouve. 
Mon ombre marche à pas de louve, 
Droite et longue comme un cyprès. 

Elle me suit, comme un reproche, 
Dans la lumière du matin. 
Je vois en elle mon destin 
Qui se resserre et se rapproche. 
A travers champs, par les matins, 
Mon ombre suit, comme un reproche. 

Mon ombre suit, comme un remords, 
La trace de mes pas sur l'herbe 
Lorsque je vais, portant ma gerbe, 
Vers l'allée où gîtent les morts. 
Mon ombre suit mes pas sur l'herbe, 
Implacable comme un remords. 



 


 

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