ALAIN BENTOLILA

Le neuf mars jour de Sainte Françoise

C’est la fin de l’hiver les jours valent les nuits
Et le printemps va naître au doux nom de Françoise
Il n’est plus de saison pour la couleur des fruits
Ta bouche pour toujours est la rouge framboise 




Oran 1962
La guerre d'Algérie éteignait tes soleils
Détruisait ton empire et toutes tes merveilles
Et la mer soulevée recouvrait par ses pleurs
Tes enfants consumés dans le feu du malheur

Les fusils des soldats en allés dans la nuit 
Déchiraient le silence et allumaient les cris
Et les matins baignés d'une pâle lumière 
Pliaient sous la lueur d'un désir éphémère 

Le bleu de tes étés se noyait dans le sang
Qui coulait tout au long des chemins innocents
Et la mort rougissait la terre du passé
Dans un présent perdu à l'horizon cassé

Des regards apeurés surgis du fond des têtes
Cherchaient dans le tumulte une impossible fête
Et des cœurs étonnés brisés de part en part
Tremblaient à l'avenir d'un douloureux départ








La mort 

Et la mort après tout n'est qu’un profond sommeil
Dans un lit de néant bordé par la poussière
Emporté par le vent de tous les froids soleils
Qui jalonnent le temps de leur pâle lumière 

C’est le pays promis le royaume de nuit
Où la peur et les cris n’ont plus droit de cité
Peuplé d’éternité juché sur l’infini
Avec pour seul drapeau un linceul éclaté 

C’est l’accomplissement d’un étrange destin
Le terme de la vie dans notre corps écrit
La flamme illuminée dessus les feux éteints
L’étoile qui scintille au fond des yeux meurtris 

C’est l’enfant qui renaît de l’homme exténué
Et retourne serein vers le sein de sa mère
Dans le silence enfin à jamais retrouvé
C’est la douce quiétude au ventre de la terre 




Les fontaines du ciel en gerbes de nuages
Le tapis des canaux dans leur eau noire et verte
Et les rues suspendues au détour des mirages
Une aube qui attend au fond des nuits désertes 

Les maisons décrochées qui plient dessus les têtes
Comme des nids tombés d'un abri éphémère
Et la joie qui se meurt dans l'impossible fête
Au creux des pas perdus au plus loin de la mer

Les boussoles brisées par des mains malhabiles
Dans les bruits sans musique et les pâles lumières
Et l'appel angoissé des matins immobiles
Pour des passants noyés dans de vaines chimères

Les fleurs dans les jardins comme gouttes de sang
L'horloge qui gémit dans l'espace figé
Et la course qui cesse au musée de Vincent
Les corbeaux dans le champ d'une toile rongée



Le jardin de pierres 

Un jour demain plus tard il sera toujours l'heure
J'irai chez lui là-bas dans le jardin des morts
La barque des vivants est noyée de douleur
Quand ceux qui sont partis la laissent dans le port

Lorsque mes souvenirs surgiront comme l'eau
Du fond de son silence une voix renaîtra 
Puis je verrai bouger ce lancinant tableau
Et tout ce qui n'est plus me réapparaîtra

L'histoire de sa vie qui a fait mon enfance
Coulera doucement dessus sa tombe noire
Et si de son passé je n'ai que l'ignorance
Le nom qu'il m'a donné est toute sa mémoire

Je fermerai les yeux ébloui de lumière
Et quand j'aurai compris des choses le mystère
Caché dans le secret du plus profond des pierres
Je quitterai ce lieu où repose mon père.

 



Mon enfance est dans la mer

Il y a dans les eaux la mémoire éternelle 
Qui garde mon passé telle une sentinelle
Tous les moutons d'argent d'une crèche éphémère
Et que le Petit Prince égrène dans la mer

Il y a dans le vent mes plus troublants poètes
Rimbaud sur son bateau ivre dans la tempête
Baudelaire pleurant la mort de l'albatros
Aragon qui attend le retour de Desnos

Il y a dans les flots mes plus beaux souvenirs
Aux creux des blancs sillons tracés par les navires
Tous mes secrets d'enfant dans les grottes profondes
Des milliers de poissons pour de muettes rondes

Il y a dans la vague une nuée d'espoirs
Qui glissent doucement sur ce vaste miroir
Jusqu'aux marchands de sable aux bords des grandes plages
Pour retomber en vrac sur mes livres d'images 






 

La ville qui écrit sur l'eau

Le long de tes canaux des pages et des pages
Ton histoire sur l'eau se lit et se relit
Elle est brodée de mots elle est baignée d'images
C'est le grand livre d'or de la belle Italie

Hors du monde et du temps pour toujours tu demeures
O cité mystérieuse ô reine de la mer
Tu es prête à partir mais jamais tu ne meurs
Tel un bateau fantôme errant et solitaire

Tes palais somptueux se parlent en silence 
Ils disent dans le vent le doux nom de Venise
Et c'est l'art éternel qui partout recommence
Sur tes murs colorés comme autant de balises

Quand l'air devient trop lourd sur la terre des hommes
Je pense à toi là-bas tranquille et souveraine
Et si toutes les voies nous conduisent à Rome
J'ai tracé mon chemin qui vers toi me ramène 



Grand-père

Sans aucun souvenir je garde la mémoire
Je ne sais rien de toi je ne t'ai pas connu
Mais tu brûles toujours au feu de mon histoire
Comme brille l'étoile à jamais disparue

D'une seule photo que mes mains ont sauvée
Me regardent tes yeux et me parle ta bouche
Quelque chose de toi me semble inachevé
L'image d'une absence et qui pourtant me touche

Tu étais déjà mort quand j'entrais dans le monde
Et tu n'as pas pu voir l'enfant de ton enfant
Mais quand viendra mon tour de sortir de la ronde
J'irai te retrouver dans le grand firmament

Tu dors dans le pays qu'il m'a fallu quitter
Qu'ai-je à faire du temps que m'importe l'espace
J'ai ton sang j'ai ton nom j'ai ton éternité
Grand-père j'ai de toi l'ineffaçable trace



Rien ne meurt jamais

Non rien ne meurt jamais au fond de la mémoire
Dans l'eau des souvenirs baigne l'éternité
Et cette source vive où notre âme va boire
Est un miroir qui luit d'une étrange beauté

Tout ce qui est caché transparaît dans le rêve
Lumière de la nuit qui éclaire le jour
Et des secrets profonds le voile noir se lève
Le passé oublié nous revient pour toujours

Un écho retentit de la voix qui s'est tue
Languissant et vibrant emplissant le silence
Et ce qu'on croit enfui ce que l'on dit perdu
Nous inonde soudain d'une immense présence

Car tout est conservé dans le cœur du poète
Pour qui le frêle enfant est le père de l'homme
Et le temps qui s'écoule en sa plume s'arrête
Retrouvé et gardé dans les choses qu'il nomme



Vincent

Tu portais dans tes mains une ardente peinture
Des couleurs qui hantaient tes rêves familiers
Les arbres se tordaient jusqu'à la déchirure
Et tu donnais la vie à de pauvres souliers

Tu pénétrais le feu par-delà ta torture
Et les saisons fondaient en un immense été
Tu voyais les secrets de la grande nature
La terre au ciel mêlée pour une éternité

Te voilà maintenant dans la nuit des étoiles
Dans les champs et les fleurs d'un azur infini
Enorme et frémissant au fin fond de tes toiles
Perdu et retrouvé au bout de la folie

Tu n'es plus prisonnier dans l'infernale ronde
Un soleil merveilleux illumine ton règne
Entends les battements du cœur vibrant du monde
Qui toujours et toujours à ton oreille saigne



Adresse de l'auteur :
alain.bentolila@wanadoo.fr


Les bateaux de nos corps

Quand depuis les pavés nous remonte la plage
Notre chambre devient une rade éphémère
Et sous des plafonds bleus l'amour pour équipage
Les bateaux de nos corps prennent la haute mer

Emportés par le chant d'un souffle silencieux
Nous voguons envahis d'étranges sensations
Tout gonflés de parfums et de sons délicieux
Par-dessus les remous de tendres émotions

Tes longs cheveux de jais mouvants comme des algues
Eclaboussent la nuit de leur écume noire
Ils enroulent mes doigts et noient dans une vague
Une ombre de naufrage au fond de ton regard

Puis quand cesse le flot des dernières chansons
Ma bouche sur tes seins dessine le rivage
Et dans un tourbillon où meurent les frissons
Nous voyons s'achever ce merveilleux voyage

Les voiles de nos draps mouillés par la tempête
Descendent doucement de notre ciel ouvert
C'est le grand calme plat qui repose nos têtes
Le tranquille bonheur du retour à la terre

Alors un oiseau blanc s'envole sans un bruit
Il referme nos yeux et son aile soulève
Le phare de la lampe au port de notre lit
Pour nos sens endormis à la porte des rêves



Amsterdam

Les fontaines du ciel en gerbes de nuages
Le tapis des canaux dans leur eau noire et verte
Et les rues suspendues au détour des mirages
Une aube qui attend au fond des nuits désertes 

Les maisons décrochées qui plient dessus les têtes
Comme des nids tombés d'un abri éphémère
Et la joie qui se meurt dans l'impossible fête
Au creux des pas perdus au plus loin de la mer

Les boussoles brisées par des mains malhabiles
Dans les bruits sans musique et les pâles lumières
Et l'appel angoissé des matins immobiles
Pour des passants noyés dans de vaines chimères

Les fleurs dans les jardins comme gouttes de sang
L'horloge qui gémit dans l'espace figé
Et la course qui cesse au musée de Vincent
Les corbeaux dans le champ d'une toile rongée


Mon enfance est dans la mer


Orfèvres du sommeil mais toujours en éveil
Ils marchent dans la nuit et rêvent au soleil 
Tout dans leur attitude est grâce et volupté
Et leur monde est celui où règne la beauté

Musiciens du silence et danseurs des ténèbres
Ils jouent avec les temps d'une mystique algèbre
Géomètres géniaux d'espaces fantastiques
Ils tracent dans les airs des figures magiques

Leur robe souple et chaude où ma main nue frémit
A les reflets de l'eau d'un étang endormi
Que des rayons baignés de toutes les couleurs
Eclairent tendrement par de douces lueurs

Lorsque je vois leurs yeux malins ou ingénus
Je pars pour des pays aux rives inconnues
Cachés dessus les ciels à des années-lumière
Et qui gardent jaloux leurs plus troublants mystères



Le poète sans muse


Sur la page blanche je m'use
Je n'ai pas la science infuse
Et ma plume toute contuse
Arrête son tracé percluse

Elle s'en est allée ma muse
Sirène changée en Méduse
Et si son départ je récuse
C'est la malchance que j'accuse

A la fontaine d'Aréthuse
Ces pauvres vers dont je mésuse
Je les transvase et les transfuse
Et ma feuille devient céruse

Et quand bien même une idée fuse
Dans mon cerveau elle est recluse
Elle se meurt toute confuse
Bête trois fois telle une buse

De toutes ces rimes j'abuse
Je ne veux pas chercher d'excuse
Et par cette pensée intruse
Peut-être je vous désabuse

Mais si pas un je ne méduse
Il n'empêche que je m'amuse
Car tout ceci n'est qu'une ruse
Pour qu’un beau jour on me diffuse



Toutes les musiques

Comme une eau de rosée d’un ruisseau ou d’un pleur
Elle coule légère étrange et mystérieuse
Pareille à une vague aux changeantes couleurs
Qui roule sur la mer débordante et joyeuse

C’est un doux instrument aux formes invisibles
Habité par des sons secrets et impalpables
Elle a toute la gamme au-delà du dicible
Et peut tout exprimer même l’inexprimable

Par ses envoûtements et par ses sortilèges
Elle éteint mes douleurs soigne mes déchirures
Chaque mot à lui seul est tout un florilège
Et de sa belle bouche une exquise parure

Des notes par milliers marchent dessus ses cordes
Dérobées çà et là par ses lèvres magiques
A des pianos perdus que sa main nue accorde
Sa voix est plus jolie que toutes les musiques



Le cinq octobre jour de sainte Fleur

Il y a juste un an que je t'ai rencontrée
C'était le cinq octobre en un lieu enchanteur
Un grand soleil d'automne et ses rayons dorés
Ont marqué cet instant d'une douce lueur 


Je revois le décor du café sur la place
Un livre sur la table une tasse de lait
Tes cheveux blonds bouclés reflétés dans la glace
Mon cœur qui s'envolait quand ta bouche parlait


Il m'a fallu beaucoup de roses et de roses
De parfums de bijoux de bien d'autres beautés
Pour savoir aujourd'hui mais y croire je n'ose
Que ce moment de rêve était réalité

Ces mots que je t'envoie en cet anniversaire
Disent mon souvenir et du jour et de l'heure
Je ne veux regarder ni devant ni derrière
Simplement respirer l'odeur de sainte Fleur



Le jardin de pierres

Un jour demain plus tard il sera toujours l'heure
J'irai chez lui là-bas dans le jardin des morts
La barque des vivants est noyée de douleur
Quand ceux qui sont partis la laissent dans le port

Lorsque mes souvenirs surgiront comme l'eau
Du fond de son silence une voix renaîtra 
Puis je verrai bouger ce lancinant tableau
Et tout ce qui n'est plus me réapparaîtra

L'histoire de sa vie qui a fait mon enfance
Coulera doucement dessus sa tombe noire
Et si de son passé je n'ai que l'ignorance
Le nom qu'il m'a donné est toute sa mémoire

Je fermerai les yeux ébloui de lumière
Et quand j'aurai compris des choses le mystère
Caché dans le secret du plus profond des pierres
Je quitterai ce lieu où repose mon père



L'adieu

Je vomis maintenant l'abominable espoir 
Qui allumait tes yeux partout dans mon décor
Et qui m'a fait rêver une impossible histoire
Où tu me revenais plus amoureuse encore 

La mer est dans mon cœur en gros bouillons de larmes
Au sable de mes joues roulent des vagues mortes
Et tous ces pleurs versés sont les meilleures armes
Pour noyer les douleurs qu'un vent nouveau emporte



Mon drapeau

Mon parti c’est l’oiseau au bec ensanglanté
Le loup martyrisé par votre cruauté
C’est le renard traqué dans vos sinistres chasses
Le vison massacré pour couvrir vos carcasses

Mon combat c’est la vie dessus les feux éteints
La poésie sauvée de vos sombres matins
L’amour incandescent surgi des lourds silences
Contre ses assassins c’est l’art qui recommence

Ma patrie c’est la mer les étoiles la terre
Le ciel gris bleu ou noir un sentier solitaire
C’est un petit coin d’herbe un arbre dans la nuit
La plage en plein soleil un jardin sous la pluie 

Mon drapeau c’est sa robe au vent de mes désirs
Soulevée çà et là aux souffles du plaisir
Par-delà les barreaux par-delà les tombeaux
C’est la feuille qui vole aux ailes de mes mots

© Alain Bentolila

Adresse de l'auteur :
alain.bentolila@wanadoo.fr

 

 

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